Les funérailles d'un dragon

J’arrive enfin au temple, le temple du dieu Na’keisärin, le dieu dragon d’entre-monde. Mon père commença était très pieux et respectais particulièrement Na’keisärin, c’est pour ça que je suis venu ici pour ses funérailles. Un prêtre du temple devrait pouvoir m’aider pour ça mais pour le moment je peine à parcourir les derniers mètres me séparant de l’entrée du temple. Avec les insomnies habituelles et le combat récent dont mon corps porte encore les marque je finis mon trajet jusqu’au temple avec le corps cisaillé de fatigue. Le voyage de Sierra jusqu’Ing fut long et peu reposant. Les tourments du voyage ont rouverts quelques blessures apparentes.

Je parviens enfin à entrer à l’intérieur du temple, le corps de Vaanshjra entièrement recouvert de bandes blanches enduites de produit pour conserver le corps est placé dans un genre de cercueil improvisé que je porte accroché dans le dos. Ce qui sert de cercueil est en réalité une succession de multiples couches de tissus enroulé autour du corps. Le tout est pèse lourd et mes pauses sont nombreuses, je manque d’ailleurs de m’écrouler dans les escaliers du temple.

Une fois en bas je me dirige vers la salle de l’autel, cherchant un prêtre à qui je pourrais dire ma requête. L’ensemble du temple est à la fois beau et surprenant, je ne m’attendais pas à trouver pareil endroit ici. J’aperçois enfin un homme dont les habits laisse supposer la fonction. L’habit ne fait pas le moine mais peut-être font-ils le prêtre. Je m’approche de l’homme et m’incline respectueusement devant lui, patientant quelques instants avant de me redresser, pour le saluer.

- Seriez vous par chance le prêtre honorant Na’keisärin ?

Ma voix saccadée, interrompue par des respirations fortes trahit ma fatigue mais je tâche de de ne le montrer que le moins possible. J’attends sa réponse avant de poursuivre

- J’aimerais de votre part une intervention, les funérailles d’un dragon.

L'esprit du temple était calme. Les pélerins se faisaient moins nombreux en cette période, et ceux qui n'avaient aucun abri préféraient le temple du Cheval ou Requin pour passer l'hiver au chaud et au sec. Quelques courageux bravaient la forêt d'Ing pour s'installer près du Dragon. Ces courageux profitaient d'un temple moins humide et moins bondé. Le jardin y était toujours splendide sous la douce lumière du dôme de la biosphère.

C'est ici qu'un nouvel arrivant me pris en flagrant délit de contemplation. J'y écoutais la nichée d'oiseaux venus aussi passer l'hiver dans le temple. Des oiseaux qui n'hibernent pas, vivant alors de leurs réserves pendant tout l'hiver. De temps en temps, ils venaient chanter dans les arbres du jardin.

-Je le suis. Bienvenue au temple de Na'keisarïn.

Le jeune homme était là pour des funérailles. C'était inédit, le culte des dieux de l'Entre-Monde est si peu répandu...

-Je suis honoré que vous ayez choisi ce temple pour un acte si important. Mais vous êtes épuisé, Profitez du temple pour vous ressourcer, et prévenez-moi lorsque vous souhaiterez commencer la cérémonie.

Ma tentative de cacher ma fatigue est de toute évidence un échec. Je ne voulais ni admettre ni montrer mon état mais il faut croire que ce n’était possible. Je suis obligé de me rendre à l’évidence, cet homme a raison. Il faut que je me repose un minimum.

- J’aurais aimé m’occuper de ces funérailles maintenant mais je dois bien admettre que vous avez raison. Je reviens vers vous très prochainement.

J’avais vaguement vu en entrant dans le temple qu’il existait ici des salles de repos et une source. La source me paraît être l’endroit idéal.

Une fois sur les lieux je commence par laver mon corps encrassé de terre et, par endroit, encore entaché de sang. Ce n’est qu’une fois passé au lavage que j’entre dans la source chaude. J’ai déjà entendu à plusieurs reprises des gens vanter les bienfaits de sources comme celles-ci mais c’est pour ma part la première fois que je me rend dans l’une d’elle. J’ai toujours particulièrement apprécié la chaleur alors une source chaude devrait avoir toute les chances de me permettre d’en ressortir reposé.

Mes prévisions s’avèrent justes et il ne faut pas bien longtemps pour que je commence à me détendre et ce n’est qu’au bout de plusieurs longues minutes passées dans la source que je ressort de là suffisamment détendu et reposé à mon goût pour retourner voir ce prêtre rencontré plus tôt.

Je me dirige calmement de la source vers la salle de l’autel où j’ai rencontré le prêtre tout à l’heure en pensant pouvoir maintenant le retrouver là-bas. Je ne l’avais pas remarqué avant mais le temple me paraît maintenant si paisible que je fais tout pour ne pas briser cette tranquillité. Je retrouve comme prévu le prêtre dans la salle de l’autel et m’approche de lui pour le prévenir.

- Je pense être prêt à commencer la cérémonie maintenant.

J’avais justement reprit pour la cérémonie le corps dans son emballage de bandes et de tissus avec moi.

Aucun texte, aucune archive ne pouvait expliquer comment se déroule un rite funéraire sous l'oeil bienveillant des dieux de l'Entre-Monde. La faille, l'Océan, empêchent même d'aller demander à nos voisins comment ils font. Si voisins il y a... Karan se trouva devant un problème insoluble à régler. Il contacta la seule personne susceptible d'avoir des informations.

Son nouveau résident étaient aux bains, ça lui laissait le temps de s'isoler dans ses quartiers et de passer un coup de téléphone bizarre à Eva Carine.
La bibliothécaire était toujours débordées et pour une demande de référence d'ouvrage, la réponse était simple : il n'y a rien pour ce sujet. Mais, puisqu'il en parlait...
Eva avait déjà discuter avec des archéologues, dont Shah Poh, l'expert de la préhistoire de l'Entre-Monde. Elle lui raconta comment les rites étaient célébrés il y a à peu près trois cent cinquante millénaires.
La mémoire d'Eva était très impressionnante, elle avait enregistrée les rites décrits par l'éminent Shah Poh. En voilà une qui avait un réseau très bien ficelé.

Aucune des âmes qui le composaient, à l'exception de la plus jeune d'entre elles, n'étaient dupes. Eva cachait quelque chose. Trop de détails sur de l'Histoire trop ancienne, Karan se refusa à lui demander d'où elle tirait réellement tout son savoir. L'énigme Eva attendrait un autre jour pour être levée.
Il avait du pain sur la planche.

Vala restât en retrait du jeune Baakan. Elle s'assurait qu'il ne manque de rien. Le confort rudimentaire du temple ne refusait pas à une personne une serviette pour s'essuyer une fois sortie de l'eau. Timide, elle était discrète comme une ombre, fuyant dès qu'elle apercevait quelqu'un.
Karan la trouva dans les jardins. Elle était concentrée sur la résolution d'un autre problème. Elle voulait déplacer le corps du défunt. Seule, car elle n'osait pas demander d'aide.

-Nous devons mettre cet homme sur l'autel, peux-tu aller chercher un linge propre ?

Elle s'exécuta en courant. Baakan les rejoignit, ils avaient terminé les préparatifs à l'instant même. L'homme enveloppé de son linceul reposait sur l'autel. Lequel était entouré d'une myriades d'offrandes. Vala venait de rapporter un panier plein de champignons et de plantes parfumées venues d'Ing, Karan disposait quelques denrées dans les vasques qu'ils avaient retrouvées dans les jardins.

-Vala et moi allons vous accompagner dans vos prières, si vous souhaitez dire quelques mots à votre ami.... Ensuite, nous ferons offrande à Na'keisarïn pour qu'il veuille bien veiller sur lui dans l'au-delà.

Lorsque je rejoins le prêtre et son acolyte et je suis directement impressionné par l'autel. C'est la première fois que j'assiste a un rite funéraire donc tout cela est nouveau pour moi mais je suis content que Vaanshjra ait droit des funérailles correctes. Je n'aurait pas aimé l'enterrer simplement au milieu du désert. Il méritait mieux que ça et je suis content d'être venu ici.

Le prête me demande si je souhaite prononcer quelques mots. Je n'avais pas réfléchi à ça mais la réponse me vient vite à l'esprit.

- Les discours ne sont pas vraiment ma tasse de thé. Je pense que je vais simplement me recueillir de façon plus interne quelques instants.

Sur ces mots je ferme les yeux et prend un profonde respiration pour me concentrer et me remémorer quelques souvenirs de ma vie avec ce père adoptif maintenant décédé. Ayant vécu la majeure partie de ma vie seul, avec lui, dans le désert les souvenirs ne manquent pas. Quelqu'un sont triste mais ils sont peu nombreux et je les chasse vite de ma tête pour ne garder que ceux qui me font sourire en pensant à eux. Je me souviens de mes bêtises, étant enfant, qui mettait mon père dans une colère noire, de mon impulsivité qui le fatiguait tant mais aussi de toutes les précieuses leçons qu'il m'a apprises. Finalement ce sont les souvenirs des cours qu'il me donnait et des entraînements que nous faisions qui reviennent le plus en mémoire. Il faut dire que cela représentait le plus clair de notre temps; les leçons et l'entraînement. "Un dragon doit savoir et pouvoir" disait-il. Ce petit dicton était sa façon de me rappeler que la théorie et la pratique étaient les deux facettes d'une même pièce. Vaanshjra aimait inventer ce genre de petit dicton qu'il me répétait ensuite à longueur de temps mais je me souviens m'en être beaucoup amusé. Mon manque de sérieux était source d'ennuis et de tracas pour lui. Cela nous a valu souvent bien des ennuis lorsque nous partions en ville mais il ne trouvait jamais cela bien grave et, alors que je grandissait, nous nous en amusions.

J'ai eu le temps de ressasser plusieurs souvenirs heureux et, un léger sourire sur les lèvres, je me dit qu'il est maintenant tant pour moi de montrer que ses leçons n'ont pas été vaines et de me montrer digne de ce qu'il m'a appris. Je ré ouvre les yeux et tourne la tête vers le prêtre en lui faisant un signe approbateur pour lui faire comprendre que j'ai fini de me recueillir. J’attends alors de voir la suite du programme dont le prêtre m'a parlé.

Spoiler:

Karan entendait une vibration, tout son corps sentait le frison en provenance de la terre sous leurs pieds. Vala vint s'accrocher au bras de Karan, sa fourrure se hérissait de peur et ses minuscules petits yeux posés sur le prêtre lui demandaient en silence si tout ça était parfaitement normal. Curieux, l'aveugle préférait se laisser aller à voir ce qu'il en était. Le spectacle méritait ce coup d'oeil. Le sol tremblait et au milieu de l'air dense une hirondelle apparue, posée sur l'autel, elle s'accrochait au linceul du défunt.
Par prudence, Karan emporta avec lui Vala quelques mètres en retrait.

-Eloignez-vous de l'autel, Na'keisarin accepte de recevoir votre parent.

Ce n'était pas le sol qui tremblait, mais le corps du dieu dragon tout entier. La pierre et les arbres en une vague portant un regard saurien et l'allure étrange d'un dragon camouflé. Elle recouvrit l'autel, emportant tout le jardin avec elle.
Mais après quelques secondes elle reflua. Le sol reprit son exacte position, les arbres s'enracinèrent de nouveau, et jusqu'au dernier brin d'herbe, tout reprit sa place sous le dôme.
N'avaient disparus de l'autel que les offrandes et le corps du défunt.

Le prêtre était aussi abasourdi que Vala. Tous deux n'osaient pas parler les premiers. C'était une nouveauté qui leur sembla un peu étrange. Il se défit de l'étreinte de son assistante et marcha jusqu'au l'autel. En langue commune était écrit quelques mots. La pierre les effaça lentement et le prête lu à haute-voix.

-De la vie à la vie, il rejoint le cycle éternel dans l'étreinte de Na'Keisärin.

Eva ne l'avait pas prévenu qu'un tel dénouement pouvait survenir... La mystérieuse bibliothécaire en saurait peut-être un peu plus sur cette façon d'agir du dieu dragon. Vala l'avait suivi, encore chamboulée par la vue du dragon. L'assistante trébucha contre une coupe vidée et la ramassa. Elle la serrait contre elle comme un bouclier.