Et en musique s'il vous plaît

"Oooh, pincez-moi, je rêve."

Les yeux pleins d'étoiles, Cygne découvrait enfin le lieu dont il avait tant rêvé : le Laboratoire de Cerclon. Son badge tout neuf de la BCP reposait au fond de sa poche, détenteur de ses tous premiers pims. Il parcourut les rayonnages d'un regard enamouré, s'attardant sur le métal rutilant, les écrans de toutes formes et de toutes couleurs, toute cette technologie qui lui tendait les bras.

Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer près de l'entrée son premier amour. Il se téléporta presque devant l'étagère et saisit le baladeur Subsonic avec révérence. Pour remplacer son ancien lecteur de musique, il avait eu le courage de pousser les portes de la Bibliothèque pour la première fois. Aujourd'hui, enfin, ses longues journées de privation étaient terminées. Il serra le boîtier contre sa poitrine, une petite larme au coin de l’œil.

Mais le moment d'émotion passé, il eut tôt fait de se mettre à parcourir les rayons de long en large. Car si la Bibliothèque lui avait donné tout juste de quoi remplacer son lecteur décédé, il avait eu la surprise de recevoir une manne de pims inattendue en gagnant un tournoi de jeu à Cerclon. Il était donc... riche !

Enfin, pas tant que ça, constata-t-il en s'étranglant presque devant une étiquette de prix. C'est avec beaucoup de chagrin qu'il dut renoncer à une paire d'ailes mécaniques. Ainsi qu'à nombre d'autres coups de cœur...

C'est une bonne heure de choix déchirants plus tard qu'il s'approcha enfin du comptoir et y déposa son baladeur, une paire de lunettes de vision thermique (il vivait aux Fumerolles, s'était-il justifié, ça pouvait toujours être utile) et un Glyph Colt (... OK, il n'avait pas vraiment d'excuse pour celui-là, et sa famille aurait une crise cardiaque s'ils le voyaient se trimballer avec ça ; mais il n'avait pas pu résister).

"Vous croyez que c'est une bonne situation, milliardaire ?" demanda-t-il à la personne au comptoir.

Pas le choix, il allait devoir prendre ses responsabilités s'il voulait pouvoir acheter la moitié de la boutique à son prochain passage.

Un petit homme au teint pâle, la cinquantaine d’âge, se tenait derrière le comptoir. L'air inquiet, scrutant chaque recoin avec attention. Il s'appelait Oliver Doyle. Un Kouen sans histoire... Ou du moins, sans histoire jusqu’à aujourd’hui. Le voilà à Cerclon en train de s’occuper du laboratoire d’Entre-Monde ! Vous voulez sûrement savoir pourquoi il en est là ? Non ? Je vais tout de même vous raconter. Le pauvre petit Oliver Doyle se voit menacé de voir disparaître sa famille… Sa femme, ses enfants, son chien, son chat… Peu importe à vrai dire. Ils sont entre mes mains. Celles du grand acteur de renommer, et du criminel recherché : Owen Dawson !

L’histoire vous intéresse plus maintenant, hein ? Pourquoi ai-je fait ça au pauvre monsieur Doyle ? Simple. J’ai besoin de pims. L’intérim est le moyen le plus facile de gagner de cet argent. Problème : je suis recherché, il est donc dangereux de venir ici seul, et ce genre de travail de commerçant ne convient en rien à mon standing. Je ne peux donc pas m’en occuper seul, voyez ! J’ai besoin d’aide ! Et c’est là que mon ami Oliver rentre en jeu. Employé de bureau à Tern, il s’y connaît un peu informatique et en technologie (il a déjà envoyé un mail.). Je l’ai donc contacté après avoir kidnappé sa famille, prenant bien soin de ne pas me montrer à un seul d’entre eux, et de ne pas avoir utilisé ma véritable voix. Je l’ai ensuite ordonné de prendre ce boulot et de venir à un certain endroit pour finaliser la transaction des pims qu’il aura obtenu vers mon compte.
Vous voulez encore savoir la suite, pas vrai ? Je le tuerais bien sûr. Il pourrait réussir à trouver à qui appartient le compte pims vers lequel il aura réalisé la transaction… Je n’ai pas envie que tout le monde sache à quel point je peux être horrible. D’ailleurs, je ne le suis pas, hein ! Il ira rejoindre sa famille ! Comme je lui ai promis ! Dans la mort, certes, mais ça… C’est autre chose.

On parle beaucoup, hein ? Un peu trop… Revenons donc à notre histoire. Oliver Doyle attendait nerveusement derrière le comptoir, triturant ses mains en observant un jeune homme se rapprochait de lui. Il soufflait longuement. Le rançonneur lui avait expressément ordonné de ne pas se montrer trop suspect. L’humain sourit donc timidement au jeune, le saluant de la tête tout en prenant rapidement ses articles.

B-Bonjour jeune homme. Bienvenue dans le temple de la technologie. Ahah…

Il riait nerveusement et finit par baisser la tête, il se trouvait bête d’avoir fait cette réflexion. Il devait enchaîner, répondant à la question du client.

Milliardaire vous dites ? Oh… Oui. C’est enviable.

Avec l’argent d’un milliardaire, il aurait pu engager tout un tas de monde pour retrouver sa famille en un rien de temps… Il aurait aussi pu payer la rançon d’un claquement de doigts… Malheureusement pour lui, il ne l’était pas. L’humain devait travailler.

Alors… Vous avez un baladeur subsonic… Des lunettes de vision thermique, et un Glyph Colt.

Tout en regardant les prix sur le catalogue de vente, l’homme ruminait ses calculs.

20… Plus 15, 35… Plus… 55… Il regarda le client et lui sourit à nouveau. 90 pims, s’il vous plaît.

Oliver rentra le prix et présenta le lecteur de badge PIMS à Cygne, attendant que ce dernier finisse la transaction. Rien qu’avec cet achat, il allait pouvoir revoir sa famille… Il avait une fille de l’âge apparent du jeune homme… D’ailleurs, il commençait à se demander s’il faisait bien son travail. Les lois entre-mondiennes était dures à saisir quand il s’agissait d’âge. Elle dépendait toujours de la race et de l’époque du quartier dans laquelle l’individu avait été élevé. Avait-il le droit d’acheter le Glyph Colt ?

Au fait… Vous… Vous n’êtes pas trop jeune pour ce genre d’achats ? Vos parents sont d’accord ?

Petit homme nerveux, nota Cygne. Il aurait bien fait une autre plaisanterie pour détendre l'atmosphère, mais alors qu'il sortait fièrement son badge rutilant, les questions du vendeur lui firent faire un arrêt sur image.

C'est qu'il ne s'était pas une seconde posé la question de la légalité de son achat. Lui qui n'allait jamais à l'encontre des lois, cela le mit un bref instant mal à l'aise. Mais ce n'était pas comme s'il avait l'intention de devenir tueur à gages et... le pistolet était si joli...

"Ben, c'est un pistolet paralysant, donc c'est plus une arme d'auto-défense qu'autre chose, non ?" dit-il en ouvrant de grands yeux ingénus. "Et j'ai l'âge de conduire." ... sous la surveillance d'un adulte.

Il passa son badge au-dessus du lecteur sans attendre de réponse, espérant que cela mettrait un terme aux hésitations du vendeur.

Oliver s'était donc trompé sur le compte du jeune homme ? Le client avait un point, l'arme qu'il souhaitait relevait plus de l'auto-défense que de l'attaque... Mais on ne pouvait savoir dans quel cadre, il allait l'utiliser... Ce genre d'arme avait peut-être servi au kidnappeur de sa famille. Il finissait néanmoins par hausser des épaules, bien conscient qu'il n'est pas là pour choisir si oui ou non le client pouvait acheter, mais pour lui faire acheter.

Je vois... Pardon alors. Merci de votre achat, et j'espère vous revoir ici.

La transaction était terminée d'un rapide passage du badge. 90 pims était arrivé sur le compte d'Oliver... Il ne restait plus qu'à attendre le départ du client pour se faire la malle et se dépêcher de rejoindre le point de rendez-vous. Monsieur Doyle ne voulait plus attendre une seule seconde ! Il avait besoin de revoir sa famille... Qui pouvait savoir ce que le kidnappeur leur avait fait ?.. Rien que cette pensée le motivait à se dépêcher.

Après avoir raccompagné son client, il partit par la porte arrière et se dirigea à Magna par un chemin étroit dans Cerclon, bien décidé à retrouver sa famille... Un chemin rapide, aller simple, direction le paradis. Merci pour les pims, Oliver.