Nuit belle nuit sous un ciel de Cerclon

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Devant l'An-K, nous nous fîmes dévisager par le robot accueillant les clients. J'étais déjà venu quelques fois après mes longues heures de lecture ici, mais l'expression malicieuse de son visage féminin m'interloqua :
- Es-tu déjà venue ici ? Demandai-je à mon invitée. Je comptais lui faire découvrir la vue depuis les remparts autour d'un repas goutu sans avoir réfléchi au fait qu'Eva devait connaître un bons nombres de restaurants et autres coins sympathiques de la ville. Surtout si près de son lieu de travail.

- Auriez-vous de la place en terrasse je vous prie ? Priai-je l'employée.
A cette heure-ci, peu de risque qu'il y est du monde. La femme androïde ouvrit le pas et nous traversâmes le restaurant rapidement. A gauche un long comptoir où s'afférait un robot ressemblant à Kip en plus moderne. Je donnais un léger coup de coude à Eva pour le lui montrer en lui soufflant un petit "C'est lui", à l'oreille. A notre droite quelques petits box contre le mur abritant une table et des tabourets parfois occupés. Les parois holographiques représentaient des scènes de la nature choisies par les clients, plage, jungle, montagne, usine (oui oui, il y en avait vraiment pour tous les goûts), j'en passe et des meilleurs.

Nous ressortîmes par une petite porte donnant sur une terrasse tout aussi modeste en taille. Y logeait cinq tables de différentes tailles. Seul un couple était présent dans le coin, chuchotant des mots doux, gloussant, on pouvait même voir leurs pieds se cherchaient. Je souris devant cette scène et avant de prendre place à notre table j'invitais Eva à venir sur le bord de la plate-forme.
Le ciel était bien sombre, l'air frais caressait nos visage dans une légère bise.
- Regarde cette vue ! Dis-je doucement. Je ne me laçais jamais de ce spectacle. Regarde, insistai-je, les lumières des différents quartiers font écho aux étoiles se dévoilant par milliers dans le ciel. Je levais la tête, m'imprégnant du reflet de ces astres.
J'avais toujours été fasciné par le ciel de nuit, les lunes et ses étoiles. Je trouvais un apaisement certain à m'y perdre, mais ce n'était pas le moment de m'abandonner à cette contemplation.

J'invitais la jeune femme à s'asseoir, l'hôtesse attendant patiemment que nous nous installions. Elle nous donna une carte holographique et partie, sourire en coin.
- Je sais qu'il n'y a rien de glamour dans ce repas, mais tu devrais goûter leurs sandwichs, un pur délice. Et regarde ce choix, dis-je en faisant défiler la longue liste sous nos yeux. Stella est d'excellent conseil si tu doutes. Voyant le regard de mon interlocutrice je sentis le besoin de me justifier. Stella, c'est écrit sur son badge ... Qui était sur sa poitrine, ayant peur d'une mauvaise interprétation je préférais m'arrêter là.

Cette dernière revint avec deux coupes qu'elle nous offrit. Je la remerciais d'un hochement de tête. Pour la suite du repas je suggérais à Eva une petite bouteille au nom imprononçable que nous pourrions nous partager.
- Ce n'est que légèrement alcoolisé, lui assurai-je. Et le goût est doux et légèrement sucré, je pense que ça devrait te plaire.

Une fois nos commandes passées, je ne tardais pas à questionner ma bibliothécaire préférée.
- Dis-moi, je me pose une question depuis un moment mais je n'ose pas trop t'ennuyer avec ça. Petit temps de pause avant de reprendre. Ton loup a-t-il un nom ? Je souris de toutes mes dents, le regard amusé. Si je voyais que le sujet était trop sensible je changerais de conversation en ni une ni deux. J'avais tant de choses à apprendre sur Eva ...

-Non, jamais. Mais il semble que nous ayons tous deux nos réputations.

Je connaissais trop de têtes brûlées pour mon bien, je suis au centre de la plupart des aventures qui tournent bien et à l'origine de toutes celles qui tournent mal. La vie d'une bibliothécaire chaperon pour aventuriers et chasseurs de monstres.
L'arrivée des sanctuaris dans mes murs devrait calmer le jeu. Mais plus le temps passe et plus je comprends pourquoi la Caserne est aussi compliquée à gérer. On dirait ma bibliothèque mais en pire !

La vue d'un Kip adroit me coupa le sifflet jusqu'à notre table. J'avais bien vu le ciel et la terrasse donnant sur l'intérieur de la ville mais un Kip adroit, ça, c'était trop beau. Même lorsque je m'installais je lui jetais des regards insistants alors qu'il maniait son matériel et retournait à l'intérieur du restaurant.

-Stupéfiant... Je pourrais peut-être les échanger discrètement...

Dans tous ça, je ne doutais pas que Ayren était un habitué des lieux. La serveuse dont le sourire éloquent se posa sur nous me confirma mes soupçons. De quand date mon dernier dîner dehors... Un an. Non, un an et demi. Les chasses de Carine à la belle étoile ne pouvant être classées dans cette catégorie. Il met du sang partout et ne sait jamais prendre son temps pour le dessert.

-Je suis désolée, lui dis-je en faisant glisser la coupe jusqu'à lui. Je ne bois jamais. Je te cède mon ...

Interloquée, je reculais un peu dans mon siège. L'animal observait Ayren au travers de mes yeux, ses griffes résistaient à l'envie de déchirer mes pensées et de gronder au bord de mes lèvres. Je le sentais tendu et nerveux. Frémissant d'une rage contenue et d'une envie de tuer plus forte à chaque seconde.

-Carine... Tu ne m'ennuies pas, mais il faut au moins que je sois franche avec toi. Carine et moi ne sommes pas en bons termes. Quant au loup il n'est en bons termes avec personne. Sa seule passion dans la vie est de tuer autant que possible. Nos accords me permettent à peine de boire un café avec quelqu'un sans risquer qu'il s'échappe pour égorger mes voisins de table.

Pourtant, ma relation avec la bête avait changé. L'aide d'Augure avait été précieuse pour retrouver un semblant de force dans cette affaire. Mais maintenant que le temps écoulé avait finit de refroidir les craintes du loup, il avait gagné une intelligence nouvelle dont je m'inquiétais secrètement depuis des semaines.

Carine avait appris à force de vivre à mes côtés. Il développait une conscience des êtres conscients qu'il n'avait pas avant notre rencontre malheureuse. Le tueur fou qui ne s'en prenait qu'aux biches et aux jeunes filles perdues en forêt s'était mué en un tueur sans goût, sans profil et sans signature. Il rêvait de dépecer plus de créatures vivants qu'il ne devait en exister réellement dans le monde entier.

Au moins, pouvais-je être satisfaite de ne plus être autant influencée par ses humeurs et ses instincts aujourd'hui. La barrière installée depuis un an m'avait permise de redécouvrir ce que c'était d'être humaine.

Je cachais mes peurs derrière un sourire d'excuse.

Cette histoire de loup était bien plus compliqué qu'il n'y paraissait.
- Oui donc ce n'est pas juste une histoire de pleine Lune et d'un aouuh crié à la volée... Je n'avais pas réellement hurlé juste mimé en chuchotant espérant faire sourire Eva. Elle ne ressemblait autant au loup-garou des comptes que moi au Phoenix de ces mêmes histoires.
- Ils ont aussi de très bons cocktails sans alcool. Notamment le Sun-D.
Je fis mine de réfléchir :
- Ca me fait d'ailleurs penser à une musique ... Je fredonnais un air de musique. Je ris :
- Oui je suis un piètre chanteur, si tu ne reconnais pas c'est normal. Aimes-tu écouter de la musique ?
Changement de conversation opéré. Et en même temps j'en profitais pour découvrir les goûts de la bibliothécaire.

Sans trop tarder, le Kip nouvelle génération s'approcha de notre table et déposa nos assiettes devant nous.
- Stan, bonjour. Voici vos plats, Stan !

Après une pirouette il se dirigea vers l'autre table où les tourtereaux roucoulaient. Surprise, la femme fit tomber son verre qui n'eut le temps de toucher le sol que déjà le Stan-Kip l'avait rattraper.
Fort de ses prouesses il repartit dans un "Stan !" triomphant.

Voyant le regard de ma partenaire je devinais ses pensées :
- Impressionnant n'est-ce pas ? Ils ont gardé la répétition du prénom sur cette génération au dessus, c'est rigolo. Attention Eva, voler ce Stan est un délit. Je veux bien t'aider dans cette tâche mais il faudra être discret, peut-être arriverons nous à l'attirer avec des petits boulots ?
Je souris, comme à mon habitude. Je préférais garder un ton léger et humoristique pour ne pas renfermer mon invitée.
- Et bon appétit ! Dis-je en entamant mon sandwich sans réelle élégance.

-Oui, j'aime la musique. Comme quasiment tout le monde. Cela dit... J'avoue ne rien connaitre de la musique dans l'Entre-Monde.

Je saluais sa performance d'un sourire et levais un verre d'eau pour le remercier de m'avoir partagé ses talents de chanteur. Fait suivant remarquable, Stan déposa devant nous les commandes et l'instant d'après je le regardais avec un désespoir dans le regard.
Si seulement Kip avait été aussi bien réussit que lui...
Ma bibliothèque serait un peu moins animée et les habitués qui le trouvent adorablement maladroit seraient sûrement déçu, mais Stan ferait un bibliothécaire assistant tellement plus efficace. Adieu livres éparpillés qu'il faut faire restaurer tous les trois jours, adieu odeur de brûlé dans le coin cafèterie et même adieu "Kip!" sonnant et trébuchant partout jusqu'à m'enfiler des migraines.

-Si j’amène un "Stan" dans la bibliothèque, Kip en déprimerait.

On oublie souvent que ce sont des entre-mondiens à part entière. Kip ayant la fâcheuse tendance de rappeler à tout le monde qu'il était juste assez adroit pour être un Ken et juste assez maladroit pour nous laisser penser qu'il n'est qu'une boite de conserve.

Carine confirma qu'à ses yeux Kip n'était qu'un jouet mal programmé qu'il se ferait un plaisir de desossé une fois libre.

-Je ne peux pas faire ça à Kip. Même si ça me soulagerait bien d'avoir quelqu'un d'efficace pour m'aider de temps à autre.

Après un "bon appétit", je croquais dans mon sandwich et Carine se détendit brusquement. J'avais bien fait de lui commander de la viande. Il s'en léchait les babines spirituelles.

-As-tu, toi aussi, un colocataire compliqué à gérer ?

Ou un passif dont je devrais me méfier car je suis une bibliothécaire occupée par assez de catastrophes émotionnelles.

- Un colocataire ? Oula non ... C'est bien la première fois que je vais me poser un peu. Sans vouloir défier Carine je suis plutôt du genre loup solitaire. Avec de nombreuses rencontres et aventures certes ... Je tus cette pensée d'un mouvement de main. Ça fait 17 ans que j'écume Entre-Monde, aidant ci et là ... Je n'ai pas vraiment créé de liens profonds avec qui que ce soit, même si je m'entends en général bien avec tout le monde.
Bien évidemment je ne préférais pas préciser quels types de lien, ni même les aides que j'avais pu apporter ... Pas toujours très très légales ...

- Je n'ai pas un passé très glorieux, je suis plutôt un homme de l'ombre. Contrairement à ce qu'on pourrait croire. Je faisais référence à mon pouvoir du feu, et donc quelque part de la lumière, en parfaite contradiction avec mon histoire d'ombre.
Je souris avant de reprendre :
- L'important est de se tourner vers l'avenir tout en savourant les instants présents. Je croquais à pleine dents dans mon sandwich... En plus de savourer mon repas je savourais mon petit tête à tête avec Eva. Lorsque j'eu finis ma bouchée j'enchaînais avec un diction :
- Comme l'a dit un grand sage répondant au nom de Maître Shifu, tu connais ? Hier est derrière, demain est un mystère et aujourd'hui est un cadeau, c'est pour cela qu'on le nomme présent. N'es-tu pas d'accord ?
Et c'est à ce moment là que j'entendis un "Hiiiiii" strident à l'autre bout de la terrasse. L'homme venait visiblement de faire sa demande en mariage à sa concubine.

Je haussais des épaules, ne comprenant pas vraiment le principe de cet acte. Quand on aime quelqu'un avait-on réellement besoin d'afficher son appartenance à l'autre de par cette bague dont les femmes rêvaient tant. Me demandant ce que pouvait en penser Eva je lui poser discrètement la question :
- Je vais peut-être mal m'exprimer mais ... Pourquoi cette demande suscite tant de bonheur ? Est-ce là la seule véritable action pour montrer qu'on aime quelqu'un ? Lui dire "tu m'appartiens ?" en enfermant son doigt dans un anneau ? ... Je dois avouer ne pas bien comprendre cette pratique ... Après tout chacun n'appartient qu'à lui même non ?
Mon côté solitaire reprenait le dessus. J'avais aimé comme un fou, je m'étais même perdu dans cette amour, mais à aucun moment je n'avais pu dire "je suis à toi". Non, cela ressemblais trop à de l'esclavage ... Et l'esclavage que j'avais connu dans mon passé lointain n'avait laissé qu'un goût amer sur mon âme.

dicton:

J’étais un peu déçue, à sa manière Ayren venait de me confirmer qu’il n’était pas du genre à garder des attaches. C’est idiot mais pour une fois que quelqu’un entre dans ma vie en étant à peu près normal et sans un caractère de cochon… Je nourrissais l’espoir que nous puissions avoir une relation, peu importe sa tendance, qui dure assez longtemps pour ne pas nous perdre trop vite.

-Savourer le présent, pourquoi pas. Lorsqu’on a le luxe de ne craindre ni hier ni demain…

Le cri gloussé par la jeune femme derrière-nous me fit sursauter sur ma chaise. Carine l’observait à travers moi, il voyait le danger venir et lui expliquer qu’elle s’exprimait si fort pour montrer sa joie ne réussissait à le convaincre de se calmer.

Heureusement pour moi, Ayren trouva de quoi nous divertir tous les deux. D’une part, Carine voulait très clairement expliquer à ce jeune homme que j’étais sienne. Qu’il n’y avait pas d’anneau mais qu’il était clair, écrit quelque part dans le cosmos et dans l’ordre naturel des choses, que je lui appartenais. Lui faire comprendre que c’était une idée totalement stupide allait encore être amusant… Le loup n’en démordrait pas de sitôt.

-Je crois que c’est une preuve de confiance et une demande de confiance retour. Je ne sais pas pourquoi les unions de ce genre existent, elles sont courantes là d’où je viens et se pratiquent ici aussi. Peut-être est-ce notre façon de voir, les gens et les choses, qui ne nous permet pas de comprendre ce qu’elle signifie vraiment…

Pour une fille élevée dans un village de type médiéval, le mariage était une ancre. Une formation normale de la société où toute femme doit avoir un homme. Pour le bien de tous et pour le bien de soi-même. Devait-on crier lors d’une demande ? Non. Devrait-on le rechercher ou le détester ? C’est relatif à la capacité de chacun à vivre libre.

-Et peut-être ont-ils envie de croire à la définition romantique du mariage. Mais si je puis me permettre, dans ce cas, ce jeune homme aurait pu faire sa demande ailleurs qu’ici. Le lieu et les personnes qui nous entourent devraient compter lorsqu’on croit de cette manière à une telle union, non ?

Ponctuant ma solution, je mordais copieusement dans mon sandwich faisant taire les protestations spirituelles de Carine. Lui, il décidait ça n’importe où n’importe quand. De toute manière, il était le plus fort. Aucun autre loup n’aurait jamais réussi à prendre sa place.
Le petit vantard…

- Tu as sans doute raison, dis je à la jeune femme. Sur Ark, ce n'était pas une bague que l'on offrait, mais une maison. On construisait plus ou moins soi-même le nid de notre future famille. C'était notre manière de faire sa demande. Et l'être aimé acceptait ou refusait de la visiter en guise de réponse. S'il refusait d'y mettre les pieds, la maison était détruite et on retournait vivre chacun chez soi. Avec la famille. C'est un peu barbare, mon monde était archaïque un peu. Mais tout cela avait un sens profond, s'installer ensemble pour construire unir nos chemins en un seul. J'ai découvert la pratique de la bague ici, et je n'en comprends pas totalement le sens.

Perdu dans mes pensées le bout de mes doigts se mirent à tapoter la table dans un rythme régulier, comme pour me garder ancré à ce monde. Oui, j'en avais construite une de maison, une seule fois. Et elle avait été détruite. J'y avais cru pourtant.

Revenant au repas je poursuivais :
- Mais je suis d'accord avec toi, si l'on doit respectait cette tradition, je désignais la table du coin, autant le faire avec des êtres qui nous sont chers.
Oui, la famille, des amis ... tout ce que je n'avais pas.
- Et c'est bien pour cela que le temps de la vadrouille est révolue, 17 ans c'est bien assez, même trop. J'ai cru toutes ses années vivre au jour le jour mais je suis resté dans l'ombre de mon passé. Il est temps pour moi de me tourner vers l'avenir, en profitant de chacune de mes journées ici à créer des liens, partager les joies, les malheurs... Surtout les joies !
Je souris comme pour ponctuer ma phrase avant de continuer :
- Et tu sais le pire dans tout ça ? C'est que malgré mes longues années de vie, c'est une gamine d'une quinzaine d'année qui m'a fait réaliser ça. Comme quoi, la sagesse ne vient pas toujours avec l'âge.

Je réalisais alors que je parlais depuis quelques minutes, ce n'était pas du tout comme cela que j'avais imaginé ce dîné. Les deux verres d'apéritif que j'avais bu déliait-il ma langue ?
- Enfin bref, je compte bien changer mon mode de vie et cela commence avec la forge ... Et pas que... Je plantais mon regard dans celui d'Eva sur ces derniers mots.
Puis je me dis que je devais avoir l'air d'un psychopathe alors je détournais le regard avant de reprendre plus sérieusement :
- Bah désolé pour ce monologue. Le passé est derrière c'est ce que je disais. A nous l'avenir, mes lèvres s'étirèrent d'un coin. Je levais mon verre de cocktail non alcoolisé avant d'en boire une gorgée.

Je finis la dernière bouché de mon sandwich épicé.
- Je ne te remercierais jamais assez pour ton aide, et Kip aussi. Si je peux faire quelque chose pour toi n'hésite surtout pas à me demander. Je compte bien squatter encore ta bibliothèque régulièrement.
- Un dessert ?

La conversation était plus tendue qu'elle n'aurait dû l'être. Où était passé mon humour piquant, légendaire, quand il s'agissait de ce type de débat ? Quelque part entre la Eva fatiguée de la bibliothèque et la Eva perdue dans une vieille forêt... Je me rendais compte qu'il me dévisageait. Surprise, je détournais le regard en espérant que mes rougeurs ne soient pas trop visibles.

-Va pour un dessert.

*Le sucre, solvant naturel du Carine en poudre*

-Tu as fait du chemin depuis Ark. Mon aide n'y a pas fait grand chose. Serais-tu devenu forgeron sans moi, je n'ai aucun doute que oui. Au moins, tu as parcouru la distance entre celui qui a quitté un monde, meurtri, et celui qui espère faire quelque chose de bien durant sa vie.

Stan vint nous voir. Ses capteurs examinèrent les restes de notre repas et proposa un dessert et, pourquoi pas, une boisson chaude. Il se lança dans une description des traditions gastronomiques humaines avant de s'interrompre pour nous tendre les cartes.
Je les refusais poliment.

-Apportez un gâteau, assez gros pour être partagé. Nous avons quelque chose à fêter.

Un clin d'oeil malicieux ponctua ma demande.

-Et deux fourchettes.

Stan s'éloigna sa commande en mémoire. Allait-il réussir à se dépatouiller avec une demande aussi incongrue dans une sandwicherie ? Au moins, nous ne nous lançons pas dans une demande en mariage entre deux bouchées de sandwich, nous.

Je remerciais Eva d'un hochement de tête et répondit à son clin d’œil par un large sourire.

En attendant le dessert surprise je lançais d'un ton bien plus léger :
- As-tu déjà visiter la zone extérieure ? Je sais bien que ton travail à la bibliothèque ne te laisse que peu de temps pour toi, mais peut-être as-tu déjà eu l'occasion de partir ?

Le dessert arriva pendant qu'Eva me répondait. Sans oublier les deux fourchettes. Qu'il était doué ce Stan !
- Stan, surprise du chef, Stan !
Clairement, il était au chocolat, mais on voyait quelques morceaux qui apparaissaient ci et là. Il me tardait de goûter. Je voyais bien aussi que le gâteau avait une forme particulière, est-ce qu'il représentait quelque chose ? Si c'était le cas je ne saurais dire quoi.
Gâteau au milieu de la table, je pris ma fourchette près à piquer dedans? J'attendis qu'Eva ouvre la dégustation et je levais ma fourchette comme on lèvre un verre pour trinquer :
- A cette nouvelle vie qui commence !

Je pris une bonne bouchée, le chocolat fondit sur ma langue pour y laisser des morceaux de ... poires ! Je les croquais et le jus du fruit rafraîchit la bouchée. Un délice !
- Mmmmh que c'est excellent, m'extasiai-je. Un régal pour les papilles gustatives ! Tu aimes ?

Le repas prit fin sur une discussion plus légère, quelques rires et taquineries. Comme je l'avais imaginé au départ. Nous quittâmes les lieux, je réglais entièrement la note. Ce soir Eva était mon invité, qu'elle proteste ou non je ne lui laissais pas le choix.

Il était temps de rentrer, devant l'An-K le moment que je redoutais, celui de la séparation.
- Je te raccompagne ? proposai-je à la jeune femme.

Oui, j’y étais déjà allée. Ayren était curieux de nature, il ne savait pas retenir ses questions. Je lui racontais les sorties régulières que je faisais aussi loin que possible de toute civilisation, elles me permettaient de défouler l’animal. Carine était impatient de voir arriver la prochaine. Je ne savais plus où l’emmener pour éviter les promeneurs, ou pire, les chasseurs.

- Au nouvel apprenti du forgeron ! Je lui souhaite d’être guidé avec attention pour devenir à son tour l’un des meilleurs.

Dans la bouche d’une Varvandel, ce n’était pas un souhait en l’air. Quelque part au fond de moi, je souhaitais que cette prière inhabituelle soit entendue par le dieu loup, le maitre des métaux et des forgerons. Je ne priais jamais. Ma relation avec les dieux, et celui-là en particulier, était conflictuelle. Puisqu’il m’avait forcée à vivre avec un loup meurtrier, il ne pouvait pas s’attendre à de la reconnaissance.

Le fait que ce gâteau fut englouti en quelques minutes suffit à répondre aux questions d’Ayren. Nous retrouvions les couloirs de Cerclon, avec regret je quittais le petit restaurant sur le pouce et gagnait le dédale de métal. Les technologies du seul ascenseur derrière nous suffiraient à causer un arrêt cardiaque à n’importe lequel des Varvandel. Sauf moi, mais j’ai le cœur d’un loup. Je ne pouvais en avoir peur.

Je glissais mon bras dans celui d’Ayren.

-Direction Northrives.

En quelques minutes, les transports de Cerclon nous amenèrent au bord des canaux de Northrives. J’habitais à une dizaine de kilomètres de là. Même s’il aurait été confortable d’y aller en gondole, j’optais pour un petit voilier propulsé par un moteur magique. La conductrice me connaissait depuis le temps je faisais appel à ses services pour rentrer chez moi chaque soir. Mi-libellule mi-ursidé, elle se tenait fièrement sur ses pattes arrière et ses ailes frémissaient en me voyant rentrée accompagner.

- Bonsoir Eva. A qui ai-je l’honneur ?

Elle lui offrit une poignée de main aux griffes limées.

- Je ne l’ai jamais vu en compagnie de quiconque. Encore moins, avec un jeune homme charmant comme vous.