Subterfuge, subterfuge...

Sélène sursauta lorsque le heurtoir se mit à parler, mais ce ne fut en rien comparable au bond qui suivit l'apparition soudaine d'une lame jaillissant de la bouche du heurtoir ! Elle porta une main à sa poitrine. Son coeur battait la chamade et il ne se calma pas lorsque la porte s'ouvrit en laissant apparaître une femme serpent immense et menaçante.

- Je... oui... Je... pour... Puis-je voir le technomage s'il vous plaît ? Vous me faites peur.

Et de fait, Sélène avait perdu toute couleur. Elle tira sur les plis de sa robe afin de se redonner un peu de consistance, mais sans grand effet. Ses yeux fixaient la naga sans pouvoir s'en détacher. On pouvait d'ailleurs les voir se remplir peu à peu de larmes. Sélène ne les retiendrait bientôt plus. Ses mains tremblantes trouvèrent à tâtons la petite valise à roulettes qui se trouvait jusque là derrière elle, et la firent passer devant. Sélène serrait la poignée à s'en faire blanchir les jointures.

- Je viens pour un enchantement.

Sa voix avait du mal à trouver un passage à travers sa gorge serrée, mais au moins n'avait-elle pas bégayé de nouveau.

- Je... Oui... Euh, merci.

Sélène pénétra dans le salon et alla s’asseoir sur le canapé. Les mains sur les genoux, elle s'efforça de calmer son coeur et de reprendre des couleurs. Lorsque le technomage arriva, elle se leva pour le saluer, mais ne put empêcher ses jambes de trembler.

- Bonjour, maître technomage. Enchantée, je m'appelle Sélène.

Dès que ce fut fait, elle se rassit pour éviter tout autre tremblements. Elle rit nerveusement alors que le maître des lieux prononçait le mot 'protocolaire'.

- Je... oui... ne vous excusez pas. C'est ma faute, un rien m'effraie. Ils ne font que leur travail. J'espère que je ne vais leur attirer d'ennuis !

Sélène baissa les yeux, la mine consternée et se mordit la lèvre inférieure.

- Je... Je veux bien un thé vert pour me remettre de toutes ces émotions.

La néphilim plongea son regard dans celui du technomage et lui sourit timidement.

- Oui,bun thé serait parfait.

Elle se détendit un peu et s'installe un peu plus confortablement dans le canapé.

- C'est mon papa. Il est forgeron. Il fabrique des tables, des portails, des chaises... toutes sortes d'objets en fer forgé. Il est fort et depuis que maman nous a quitté, il nous élève seul mes soeurs et moi. Et nous, on lui a dit que c'est dangereux et qu'on veut pas qu'il aille faire la guerre, mais il nous répond qu'il nous aime de tout son coeur, mais qu'un homme doit protéger sa famille.

A mesure que Sélène parlait, elle paraissait de plus en plus angoissée et sa voix se faisait plus fluette. Elle se mit même à sangloter, puis à lutter contre les sanglots.

- On a essayé. Je vous jure qu'on a essayé de l'en dissuader. J'aime mon père et je veux pas qu'il meure...

La jeune fille sécha ses larmes et respira profondément.

- Je suis désolée, je voulais pas me donner en spectacle... Vous avez sans doute mieux à faire que de m'écouter parler... Mes soeurs et moi, on a regroupé nos économies pour lui acheter une armure...

Sélène désigne la valise.

- ... un plastron, deux jambières et deux brassards, je crois... C'est Myra qui s'est occupé de les acheter, mais elle a le mal de l'air donc elle pouvait pas venir ici. Du coup c'est moi qui suis venue. Myra c'est ma grende soeur. Moi je suis la deuxième, alors je dois aussi montrer l'exemple vous comprenez.

Les yeux encore embrumés de larmes, Sélène chercha l'approbation dans le regard du technomage.

- On aimerait que vous enchantiez les morceaux de l'armure pour mon père se fatigue moins vite et que son corps soit plus résistant. Vous pensez que c'est possible ?

On pouvait lire à la fois l'espoir et la peine sur le visage de la jeune fille alors qu'elle attendait la réponse de Corben.

La jeune fille se ressaisit et se redressa légèrement alors que le technomage semblait pensif. Lorsqu'il revint parmi les vivants, elle posa une main sur l'avant-bras du semi-dieu.

- Je lui dirais, promis.

Elle lui sourit timidement.

- Cette personne devait être très chanceuse de vous avoir à ses côtés.

Elle retira sa main du bras de son interlocuteur pour réarranger ses cheveux, esseyant de masquer son rougissement naissant. La néphilim s'éclaircit la voix avant de continuer.

- L'armure est dans cette valise. Je n'ai pas tout compris à ce que vous allez faire, mais je suis sûre que vous allez faire des merveilles.

Pendant les quelques minutes où Sélène était seule avec... le balais, elle fit le tour du salon. Elle faisait bien attention à ne rien déranger, mais elle nourrissait sa curiosité naturelle. Néanmoins, les bras croisés sous sa poitrine, elle semblait toujours fébrile et peu rassurée.

Elle sursauta même, lorsque le technomage revint. Elle s'en excusa d'ailleurs, car il n'avait rien fait d'effrayant. La néphilim écouta attentivement les explications de l'artisan et pris même un air horrifiée lorsqu'il se lâcha une lourde brique sur le bras. Heureusement, il n'avait rien et de l'horreur naquit l'admiration sur le visage de la jeune femme.

- Oui tenez, le voici.

Elle tendit le badge à Corben et quand il le lui eu rendu, elle rangea les morceaux d'armure dans la valise, la ferma et la verrouilla. La transaction était effectuée.

Sang et larmes.

La devise familiale. Sélène n'en était pas aussi mordu que son frère, qui semblait y voir un sens profond, mais pour le coup la néphilim la trouvait appropriée. Son attitude changea du tout au tout. Elle se tenait droite, le menton haut et les épaules en arrière. Son visage arborait un regard fier et un sourire narquois. Quid de la petit fille frêle et faiblarde qu'elle avait jouée. Un masque qu'elle avait trouvé amusant.

- Cool. Le frangin va être content. Je lui avait dit que ça serait encore plus simple que de voler une sucette à un gosse. Je vous remercierais bien si j'étais pas persuadé que si Augure était venu en personne vous auriez pratiqué des prix indécents. Si je peux me permettre, c'est pas très professionnel.

Sélène fit une pause dans sa petite tirade pour regarder le visage du technomage changer du tout au tout. Elle s'arrêta ensuite sur la pièce.

- Mais en même temps, c'est pas le professionnalisme qui va vous étouffer, hein. Enfin bref, pas besoin de me raccompagner, je connais la sortie. Bonne journée.

Sur ce, elle pris la valise et sortit de la pièce. Arrivée dans le hall, elle ouvrit la porte principale et se retourna une dernière fois.

- Et quand on veut faire peur aux gens, on laisse son ch'veux sur la langue au garage !

Cette dernière phrase, elle l'avait crié haut et fort pour être sûre que la naga l'entende. Quand on cherche un Nevarran, on le trouve. Nan mais qu'est-ce qu'elle croyait celle-là ! En quittant le pont principal, elle effleura le heurtoir du bout des doigts et y déposa un baiser avant de s'en aller.

[RP CLOS]