C'est pour une livraison... et une transfusion

Spoiler:

Quand il se posa enfin dans l'entrée des Urgences du Sanctuaire, Uriel en avait pour ainsi dire plein les ailes. Il avait pris l'entrée pour les Fumeroles la plus proche de la plate-forme d'atterrissage des Perçants et volait depuis seulement dix minutes, mais livreur ou pas, il ne portait généralement pas sur d'aussi longues distances un mètre soixante-dix de jolies courbes. L'inconnue dans ses bras avait probablement perdu pas mal de sang, mais bizarrement il avait plutôt l'impression qu'elle avait pris du poids.

Il franchit les portes des Urgences en examinant les lieux d'un coup d’œil circulaire. Il était venu une seule fois, sur les conseils d'Aliénor qui avait tenu à ce qu'il fasse examiner une aile blessée, mais il était passé par l'autre entrée. De ce côté-ci du Sanctuaire, on avait apparemment plus l'habitude de voir arriver des cas comme celui qu'il portait. Il avait à peine fait trois pas qu'on lui demandait d'allonger son colis sur un brancard et qu'on lui posait toutes sortes de questions. Il fit de son mieux pour y répondre.

"Aucune idée de qui elle est... Euh, je soupçonne que c'est une dragonne, ou alors elle a le pouvoir de se transformer en dragonne, mais je ne crois pas que c'était un de ces tatouages d'enfer de chez l'Alchimiste. Non, il n'y a que cette blessure à la cuisse, mais ça doit faire vingt minutes qu'elle est blessée, quelque chose dans ce goût-là. J'ai fait ce que j'ai pu pour qu'elle pisse un peu moins le sang. Ouais, une blessure par poignard."

Tout occupé à répondre, il se laissa entraîner sans y faire attention, et se retrouva bientôt comme un imbécile devant une chambre d'hôpital où on s'efforçait de déterminer la race de l'inconnue pour pouvoir lui faire une transfusion appropriée. Quelqu'un d'autre s'occupait de la blessure. Uriel vit finalement arriver quelques pochettes de sang qu'on relia bientôt à son inconnue.

Avisant une banquette devant la chambre, il s'effondra dessus. Son devoir était accompli, mais il était trop fatigué pour repartir tout de suite. Il se demanda si un Sanctuari allait venir l'interroger sur l'agresseur de la jeune femme.

Neytiri se réveilla dans un endroit très étrange. Elle commença par tenter d'ouvrir les yeux, les bruits alentours accompagnant sa progression. A plusieurs reprises, elle dut les refermer, faute de lumière. Puis elle sentit une douleur à la jambe, et elle sentit aussi comme une piqûre à son bras. Après plusieurs efforts, elle ouvrit les yeux et regarda son avant ; après plusieurs réflexions, elle se souvint qu'on appelait ça ''transfusion''. Elle baissa ensuite les yeux vers sa jambe blessée qui la tiraillait, mais elle ne vit qu'un drap blanc. Elle tenta de se souvenir de comment elle avait été blessée, et comment elle avait perdu autant de sang. Elle se concentra de toutes ses forces mais elle se sentait engourdie.

Elle observa alors sa tenue ; une chemise blanche simple et confortable. Elle était au Sanctuaire des braves, aucun doute. On lui avait déjà parlé de cet endroit. Puis, les souvenirs surgirent brutalement. D'abord, elle se promenait tranquillement dans un champ après avoir testé sa potion. Ensuite, on lui avait sauté de dessus et mis un poignard sur la gorge. Elle en avait déduit que l'alchimiste n'avait pas aimé qu'elle lui vole sa potion chérie. Et puis, zut ! Il avait qu'à faire des copies de la recette... Elle vit ensuite avec une très nette précision un ange débouler comme une furie des arbres ; puis un combat, des paroles, une blessure, ou avant, un combat, un réveil, une botte lancée sur le bel inconnu... elle rougit, regrettant son geste. Mais le dernier souvenir la visita avant encore plus de brutalité et il poussa un cri de surprise, un mal de crâne la prenant soudain.

Et l'inconnu surgit et elle put l'observer en détail ; ailes duveteuses, presque blanches (un peu tremblantes, sûrement à cause du vol). Il était assez musclé et Ney se surprit d'une pensée toute autre que celles qui venaient de l'effleurer. Il avait des cheveux blancs plutôt longs ainsi que des yeux profonds.
La seule chose qu'elle trouva à dire fut :

-Je... bafouilla-t-elle. Je suis désolée... pour la botte...

Elle se souvint ensuite des paroles suivant la collision, qu'elle avait entendues dans un murmure : elle n'en retint qu'un mot : mégère.

-Eh ! fit-elle en haussant le ton, je ne suis pas une mégère ! Puis, moins fort : Je... je me suis sentie bizarre et... j'étais un peu en colère...

Elle tenta de s’asseoir dans son lit.

La première valse des infirmiers et médecins s'était terminée et Uriel essayait de réunir l'énergie nécessaire pour soulever son auguste postérieur du banc et rentrer chez lui quand il entendit un cri vaguement familier. Qu'est-ce qui lui arrivait, encore ? Juste pour vérifier que l'agresseur n'avait pas par un quelconque miracle déjà retrouvé sa victime, il fit l'effort de passer la tête dans l'encadrement de la porte pour jeter un œil méfiant dans la chambre d'hôpital.

Mais non, la jeune femme était seule, bien qu'assez déboussolée.

"Hum !" fit-il quand elle s'excusa.

Il consentit à faire quelques pas dans la chambre, les bras croisés et l'expression pas très amène pour bien montrer que tout n'était pas pardonné.

"Vous avez une drôle de façon de remercier les gens. Oh, et puis arrêtez ça !" s'exclama-t-il en la voyant essayant de s'asseoir.

Il ne manquerait plus qu'elle retombe dans les pommes parce qu'il n'y avait plus assez de sang pour irriguer sa jolie tête. Il n'avait pas envie de se fatiguer à aller à nouveau chercher une infirmière, et à tous les coups ça lui retomberait dessus. Il n'était même pas sûr d'avoir le droit d'être là. Est-ce qu'il n'y avait pas une règle selon laquelle il fallait laisser les blessés se reposer ? Il n'en avait pas la moindre idée, il évitait généralement les médecins. Cette façon de rafistoler les gens, ça lui semblait très ésotérique.

Pour régler le problème, il s'avança et farfouilla à côté de la table de chevet jusqu'à trouver un panneau de commande. Il leva la tête du lit jusqu'à ce qu'elle soit à peu près à quarante-cinq degrés, tout en jetant des coups d’œil méfiants à la porte, des fois que quelqu'un revienne et commence à l'engueuler.

"Faut vraiment tout le temps s'occuper de vous, hein."

Spoiler:

Dragonne, recousue par Kathias, anesthésiée pendant l'opération, enfin à peu de chose près vu qu'elle était dans les pommes. En enfilant ma blouse pour mon service je feuilletais avec une agilité déconcertante les calepins que venait de me fourrer dans les bras la jolie Stéphanie. Elle souriait, sûrement parce que j'étais débraillé et que je tenais en équilibre la fin d'une tartine dans ma bouche.
Tartine gobée, dossier triés, je conservais celui de la dragonne dont la visite serait assez rapide. Les blessures par arme blanche sont monnaies courantes et surtout assez aisées à soigner vu notre champs des possibles grâce à la magie et à Cerclon. Encore, qu'il y a bien quelques patients qui arrivent encore et toujours à nous surprendre.

Aux urgences et ailleurs on ne prend pas la peine de frapper aux portes quand on visite un patient, on entre et puis... Il arrive que l'on tombe sur de drôles de surprises. Mais cette fois cela ressemblait juste à deux personnes, une avec un patchwork sur la jambe, l'autre devenu un pro du maniement de la télécommande des lits d'hôpitaux.

-Comment va notre drag... humaine ?

Je murmurais un "bonjour" en fermant la porte derrière moi, le sourire jusqu'aux oreilles.
Premier problème, l'espèce. Dragonne, on n'avait pas vu l'ombre d'une écaille pendant la prise en charge. Cela pouvait devenir problématique en cas de procédure magique ou si elle est un dragon d'un genre particulier... Encore que pour le moment elle est humaine, et rien qu'humaine. Un brin de jolie fille taillée en pièce.

-Mes collègues vous ont traité comme un être humain, si jamais votre nature saurienne nécessite une prise en charge spéciale, il faudrait le dire.

Une brève explication faite des points de sutures, des antibiotiques, de la perfusion qui devait rester en place si elle ne voulait pas risquer une septicémie ou autre joyeuseté et quelques autres mentions obligatoires dans notre règlement, je repris mon porte-document et le stylos à la main :

-Mais avant, commençons par les formalités, votre nom je vous prie...

Et après hésitation :

-A tous les deux ce serait bien.

Note en coin de papier : prévenir les sanctuaris.

Neytiri se sentit gênée lorsqu'il l'aida à se mettre en position assise, et encore plus lorsqu'il lui dit d'une voix désinvolte :

-Faut vraiment toujours s'occuper de vous, hein.

Puis un homme surgit dans la pièce en brisant le silence. Il lui dit un tas de choses qu'elle qualifia en toute honnêteté de charabia puis passa aux questions.
Elle se racla la gorge et coula un regard vers le jeune homme, embarrassée.

-Je m'appelle Neytiri Deskahamoa'yde, dit-elle en s'empressant de lui épeler son nom.

Elle se dit une fois de plus que c'était une identité très étrange, et une pensée vint même l'effleurer : ''Et si je changeais de nom ?''. Elle réprima un haussement d'épaules.

Elle coula ensuite un regard curieux vers le guérisseur : il ne faisait que prendre des notes, les yeux rivés sur son carnet, les relevant quelques fois pour les observer. Elle l'observa en détail : il avait les yeux et la peau dorée et avait une allure athlétique ainsi qu'une grande taille. Il portait des lunettes et avait des cheveux aussi blancs que les siens. Elle baissa les yeux vers sa main indigo et soupira intérieurement. ''Pourquoi être aussi différente quand on peut ne pas l'être grâce à une simple potion ?'' Elle ne trouva pas la réponse à cette question, à son grand déplaisir.

Elle se demanda ce qu'on avait fait de ses habits qu'elle portait depuis qu'elle avait cessé de grandir. Elle sourit intérieurement en les imaginant couverts de sang et troués. Curieusement, elle ne se sentait pas en manque sans cet éternel tissu noir sur sa peau.

Bon, et voilà qu'on commençait à lui poser des questions. Heureusement qu'il n'avait pas d'autre livraison prévue pour la journée.

"Moi chuis juste le brancardier improvisé, hein" grogna Uriel, protestant et soufflant avant d'enfin marmonner : "Uriel Seize."

Ses grandes ailes frémirent de fatigue et faillirent renverser un vase vide posé sur la table de chevet. Avant qu'il ne provoque des dégâts qu'il aurait besoin - horreur - de payer, sa main jaillit et toucha le collier de cuir noir à son cou. Les grandes masses de plumes grises disparurent comme si elles n'avaient jamais existé, provoquant un appel d'air qui fit frémir les cheveux de tout le monde dans la pièce.

"Il fait très faim chez vous. Vous n'auriez pas un distributeur automatique ou quelque chose dans le coin ?"

Son estomac choisit cet instant pour ponctuer ses paroles d'un grondement autoritaire. C'est qu'il avait déjà un sacré creux avant de jouer les sauveteurs.

Neytiri, ça s'écrit facilement. Deskamo... Un regard étonné, j'ai suivi consciencieusement son épellation, c'est qu'elle a un patronyme dur à porter, et difficilement prononçable. Je me garderais de tenter ma chance. Et Uriel Seize. Je jurerai avoir déjà entendu ce nom quelque part ! Tous les deux n'avaient pas l'air bien dangereux et ils semblaient bien s'entendre -le jeune homme n'était donc pas son agresseur, du moins je l'espérai pour elle. En fin de compte, j’appellerai les sanctuaris un peu plus tard.

-C'est juste une formalité, si vous n'avez rien à vous reprocher les sanctuaris vous laisseront tranquille. Et de toute manière, ici c'est un sanctuaire, pas une maison d'arrêt.

Mais j'ai déjà manié des sangles de contention et des fers... Comme quoi on trouve de tout dans cet hôpital.

-A moins que vous ne trouviez les repas si infâmes que vous décidiez de tout casser ici, vous ne risquez pas de finir attacher... Encore que... Evitez de contrarier les infirmières...

Même les médecins se gardent de les contrarier, les patients parfois tentent l'aventure et ils n'en sortent jamais indemne. D'ordinaire, elles savent dissimuler leurs côtés les plus sombres mais il arrive que l'une d'elle évacue la pression et on entend quelques cris de surprises et des "oh ce n'est qu'une petite piqûre, vous voyez c'est déjà fini", une minute après la victime s'en va en se massant le bras.

-Il y a un distributeur au bout du couloir avec une machine à café. Sinon, à l'étage du dessous vous trouverez une cafétéria... Mais si je puis me permettre je vous recommande plutôt les distributeurs...

Deuxième sourire. Si son estomac est solide et ses papilles atrophiées il peut tenter la cafet'...
J'approchais le lit et vérifiais le goutte à goutte de la perfusion.

-Tout à l'air en ordre. Mademoiselle, votre blessure n'est pas bien grave mais j'aimerai que vous restiez jusqu'à demain matin, afin d'être sûr qu'elle ne s'infectera pas. Sinon, comme elle n'est plus si grave qu'à votre arrivée vous pouvez partir quand bon vous semblera. Ce n'est... qu'un conseil de médecin.

On aime bien garder les gens dans l'hôpital, ça nous fait de la compagnie.

C'est pour une livraison... et une transfusion

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