Des pims et beaucoup de sable

Uriel n'avait pas fière allure. De magnifiques coups de soleil lui teignaient les bras et le visage, de sorte qu'on aurait pu croire que sa peau était naturellement rouge vif - alors que non non, ce n'était pas de naissance. Il avait fait de son mieux pour démêler ses cheveux lors de sa dernière escale, mais bien qu'il les ait attachés, ils étaient si sec et abîmés qu'on aurait dit de la paille. Quand à ses vêtements froissés et plein de poussière, il ne voulait même pas y penser. Il n'avait qu'une envie : prendre une douche.

Et pour couronner le tout, Ryner avait disparu. Ils étaient partis à trois prendre cette quête, et il revenait tout seul, sans aucune idée d'où se trouvaient ses compagnons. Bonjour la mission maudite ! Enfin, ça voulait au moins dire que... la prime était pour lui tout seul ! Il aurait pu s'en sentir coupable, mais il était trop épuisé et trop irritable pour ça.

Il fila droit au comptoir.

"Salut" dit-il en frottant ses yeux encore irrités par le sable. "Je viens annoncer que le temple de Kränessa a été trouvé et ouvert. Voilà les coordonnées."

Il glissa un bout de papier sur le bureau. Maintenant, filez-moi mes pims, se retint-il tout juste de dire.

"Ah ouais. Et Kränessa avait l'air de vouloir qu'on refasse la déco" se souvint-il. "Je crois que regarder de grandes scènes de bataille, ça le fatigue plus qu'autre chose, même quand il s'agit des siennes."

En même temps, il ne fallait pas grand-chose pour fatiguer un chat...

Trois mille six cent dix huit
Trois mille six cent dix neuf...

Sursaut. Le retour de l'ange était fracassant. Il avait l'air de mettre du sable sur le sol de la bibliothèque et pas la moindre idée du nombre d'heures de décompte qu'il venait d'interrompre.

Trois mille... Trois mille...

Un cri de rage je balançais le registre dans un tiroir. Une seconde et j'aurais reporté toute ma rage sur lui. Mais il était dans un tel état... Je me dégonflais aussitôt. La mission s'était révélé moins facile que prévue !
Sur le clavier j'entrais les coordonnées, mon index effleura la touche pour confirmer quand je fus stoppée en plein mouvement. Je détournais le regard sur l'invité surprise :

-Tu veux dire que tu as rencontré K'ränessa ?

Incroyable. J'envoyais les données aux services de K'ouen pour finir par m'appuyer sur le comptoir.

-Ce dieu là... Il n'y a pas grand chose qui ne le fatigue pas... Le temple sera entièrement rénové, il sera sûrement heureux.

Cette mission faisait partie de celles que j'attendais impatiemment. Je trouvais la fiche aussitôt et ...

-Tu as perdu tes coéquipiers en route... Si tu les retrouves, donne leur leur part de la mission.

Mes doigts reprirent leurs danse frénétique sur le clavier durant un court instant.

-Tu seras crédité dans quelques instants. As-tu besoin d'autre chose ?

Aucun sourire, j'ai encore coincé au fond de la gorge mes trois mille rapport à compter parce que notre serveur informatique a décidé de faire grève en salle des archives... Pile le jour où on doit établir les statistiques pour ces messieurs de Cerclon. On sait aujourd'hui que les humains et les androïdes sont très semblables : ils râlent pour tout et surtout n'importe quoi.

Uriel n'avait même pas cligné des yeux devant la crise de rage de la bibliothécaire. Habituellement, elle lui fichait la frousse, mais même deux jours après les faits il était encore à moitié traumatisé par la sortie de Kränessa et la démonstration de force qui avait précédé. Bon, et puis il était crevé, aussi.

"Ouais, enfin... Je pense qu'il aurait préféré faire la sieste que nous rencontrer."

Quant à se montrer réglo avec ses coéquipiers... tout dépendrait de s'ils le croisaient quand il était de bonne humeur, hein. Et puis, pour ce qu'il en savait, Drayna s'était peut-être fait boulotter par une grosse bestiole du désert. Il ne l'avait pas assez connue pour en être attristé. Et ça faisait toujours 20 pims en plus.

"Non, merci, c'était tout" répondit-il, pressé de rentrer chez lui maintenant que son compte en banque était en paix. "Euh... bon courage pour le..."

Il jeta un regard perturbé au tiroir dans lequel avait disparu le malheureux registre.

"Bon courage."

Il tourna les talons et s'éloigna d'un pas traînant.