Missions d'Arès

Naëvi gambadait joyeusement en s'appuyant parfois sur ma jambe, histoire de me recouvrir de ses poils immangeables. Depuis cette fois où j'ai préparé le dîner avec sa truffe en dessous de mes bras et que, par mégarde, un poils du renard s'était déposé sur la nourriture... ( sachant que les Renards stellaires sécrètent un genre de poison au goût infâme qui les protègent de tout prédateur )... je lui interdis d'approcher la cuisine. Mais en ce moment, avoir ses poils collés à mes bottes c'est un petit espoir qu'en allant chasser des monstres plus gros que moi, je ne me fasse pas dévorer de si tôt. Instinct de conservation commutatif, le renard n'en finissait plus de se prendre pour un chat et de tourner autour de moi, les oreilles droites et ce regard humide et attendrissant levé vers moi. Soupir. Une marche plus haut que moi, je pus tendre le bras pour le gratifier d'une caresse indélicate. Et il était tout content en prime !

Je passais la porte en grillant la priorité à un inconnu qui râla sur mon passage éclair et celui de ma bestiole et me voilà de nouveau à la bibliothèque avec la ferme intention d'y dénicher du boulot. Encore.
Travailler dur paye bien à Entre-Monde, et ça ne me dérange pas d'aller risquer ma peau au fin fond de la jungle. En même temps, mon proprio adorerait que je finisse en sandwich pour écureuil transgénique. (J'ai, encore, oublié de payer le loyer à l'heure... Il peut bien attendre une semaine de plus maintenant, ça ne changera rien. J'aurais qu'à payer celui du mois suivant en même temps.)

Sur ces constatations hautement philosophiques, j'avançais sans regarder devant moi et m'arrêta soudain, le nez à quelques centimètres à peine de larges épaules. Un grand gaillard en jupette *étouffement d'un rire éhonté* se tenait au beau milieu du passage. L'air de rien, j'aurais pu le contourner et ne pas faire d'histoire mais non... On me penserait malade si je me tenais correctement, si je faisais preuve d'altruisme et de civilité. Et donc :

-Si madame veut bien s'écarter, y en a qui essayent de se trouver du boulot, ici.

Le "madame" était peut-être un peu de trop. Il va peut-être essayer de m'aplatir sur la moquette comme un moustique égaré. Fée, moustique, peu de gens voient la différence, surtout qu'il m'est déjà arrivé de croiser une fée -au sens commun du terme- aussi petite qu'une libellule. Que de souvenirs... On trouve vraiment des microbes partout !

Spoiler:

Ma main fuse, trop tard, il fut plus rapide que la patte vive et sans scrupule de Dité... Il avait mit la main sur une mission qui me semblait assez amusante pour commencer par prévenir les pompes funèbres. J'ai alors levé le nez sur lui, je l'ai regardé de la tête aux pieds jaugeant son potentiel agressif. En effet, il faisait péter les scores en apparence. De "madame" il passe au rang de "monsieur" grande amélioration, malgré la jupette de cuir. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas.

-Par le plus grand des hasards, cherches-tu un équipier pour ...

Doigt levé. Je désigne l'affichette, celle qui avait attiré mon regard bien que sa vélocité à la saisir fut bien plus grande que la mienne.

Habituellement, le bibliothécaire arrive exactement à cet instant. Il n'y a bien que dans l'Entre-Monde qu'on trouve un intérimaire-bibliothécaire-commerçant-acteur qui vous file une quête comme si c'était la chose la plus normale du monde. La première fois c'était une jolie brune accompagnée d'un singe en papier plus casse-cou que moi, et sûrement plus insupportable, même si je dois l'avouer je ne suis pas si mal classée derrière lui. La seconde fois c'était un garçon, non ? Un grand garçon avec un masque doré et toujours ce singe. La troisième, à qui aurais-je l'honneur ?
Je disais donc que le bibliothécaire dérogeait à son effet d'intérimaire zélé, tant qu'il en serait quasiment omniscient -ou tout juste illusionniste. Cette fois, il était en retard. Qu'attend-t-il pour débarquer et nous demander, nom, prénom, numéro de sécurité sociale ?

J'arme un sourire, mon sac pend sur une épaule, il n'est jamais lourd. Ce technomage fait des merveilles, je pourrais y mettre tout ce grand gaillard sans aucun souci. Tiens, je pourrais dissimuler quelques cadavres dedans, peut-être même un arbre ? Ma prochaine mission sera d'aller tester les limites de ce sac sans fond, sans poids, sans... J'ai mis où mes clefs déjà ?

-Elle parle de quoi ta mission ?

Bah non je n'ai pas eu le temps de la lire. J'en étais encore à cette histoire de crabes dur comme des diamants ! Il avait déjà récupéré le colis sans que mon radar naturel ne puissent vérifier qu'il ne soit pas piégé. La douane féminine n'est plus si fiable.

Je serais bien en peine de décrire exactement le regard que je lui jetais, vraiment. Je ne suis pas quelqu'un de susceptible, et il ne fallait pas prendre comme explication à cette sorte d'hostilité qui me fouetta le coeur lorsque ses mots papillonnants me parvinrent aux oreilles la situation d'il y avait quelques instants. Mais j'étais déjà en train de savourer le plaisir anticipé et purement atavique de me mesurer à un autre Talos que cette créature me volait dans les plumes. C'est donc avec dans les yeux une intense concentration et une sombre joie que je lui répondis, presque distraitement comme si elle n'avait pas mérité cette réponse.

- Une sorte de géant, apparemment, en bronze, qui s'est mis en tête de...

J'ouvris la main et étirais le papier froissé, que mes doigts serrés avaient malmené. Pincement penaud.

- De se balader à Vink en roulant des mécaniques. Vink, oui, je crois...

Petit effort de géographie. Oh. En fait, contrairement à ce que je m'étais dit, ce n'était pas la porte à côté. Bah ! Une petite balade dans le Sud, pourquoi pas...
Avec elle ?!

- Hein ? Et pourquoi ça t'intéresse d'abord ? repris-je d'un ton légèrement plus méchant.

Hum. Il fallait que je me reprenne, oui... Ce n'était pas le genre d'attitude qui seyait à un dieu antique - quoi qu'on pût leur reprocher... ou encore les comparer à des homologues à tête d'animaux...
Mais il fallait me comprendre. Imaginez un homme qui a l'habitude de s'envoyer en l'air tous les deux jours et qui est brutalement sevré de toute femme, pendant dix-sept ans. Au moment où on lui propose un billet pour le temple féminin, il aura tendance à ne pas être tout à fait dans son état normal. Mais plutôt plongé dans une fébrilité intense, partagé entre excitation et impatience. Ecartelé par son désir.

Je clignais des yeux.

- Là c'est le moment où tu me dis que ça te donne envie de t'y frotter, c'est ça ? Et qu'il n'y a pas de loi stipulant, quelque part, que je peux t'en empêcher ? Ca serait trop facile.

J'esquisse un sourire narquois.

- Mais c'est pas une quête - j'insistais sur le mot - de ton gabarit, petite...

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, je ne laissais pas la phrase mourir, mais plutôt elle me resta dans la gorge.

- Petite quoi ? achevai-je d'un ton un rien sarcastique.

Spoiler:

Ah non. Il ne plaisante pas. Il se la joue monsieur je-fais-deux-têtes-de-plus-que-toi... Je le regarde sans un mot. L'accalmie avant la tempête. Naëvi s'est déjà éloigné d'un pas, histoire de ne pas se prendre une balle perdue... Il comment à comprendre la vie le petit poilu, plus qu'à éduquer le grand balèze.

-Petite ?

Il a vraiment dit petite ? Oui, il a dit "petite". Et il la dit deux fois même. Crispée, une main proche de la crosse d'une arme bien visible à ma ceinture. Une aération en plus éviterait la surchauffe de sa matière grise...
C'est le combat de coqs qui commence. Je suis sur le ring bien décidé à lui faire manger sa... Lance ? Qui se trimballe avec une lance de nos jours ? Encore un type venu d'Ordae ou de Ciel qui n'a pas envie de s'embarrasser avec une arme à plasma ou une bonne vieille et délicate arme à feu. Il sait pas ce qu'il rate.
Je campe sur mes pattes, je finis par coller mes mains sur mes hanches -faculté primaire de la femelle qui écarte ses bras et mets en valeurs sa poitrine. Je déteste quand ils sont grands. Je déteste quand ils me répondent l'air de me prendre pour la dernière des potiches. Je le sens là, ça vient. Le goût de la moutarde qui vient me picoter le nez. Des jurons. Nombreux. Fleuris. Millésimés même, du plus beau cépage connu : le miens. Je suis à un centième de millimètre de lui balancer la flopée d'injure la plus dense qu'on puisse prononcer sans reprendre son souffle. Mais là... Je me dis que c'est bien le premier de mes potentiels équipiers qui me toise de la sorte. Faut le dire, j'ai pris l'habitude de partir à l'aventure avec tout et n'importe quoi (n'importe qui pardon...) ils résistent rarement très longtemps à mon franc parlé et à ma façon si singulière de les envoyer sur les platanes voir les cochons voler.
Je ravale un tout petit peu de cette fierté mal placée. J'ai ouvert les hostilités, je lui dois au moins ça, il a le mérite d'avoir tout de suite répondu.
Donc au final, ça a finit comme ça :

-T'as raison sur un point, y a aucune loi qui m'empêche d'aller botter son gros derrière à ce truc de bronze. Et si tu veux, je m'occupe aussi du tiens pendant qu'on y est. Tu veux un équipier ou pas ?

Il a du répondant. Mais le "petite" il en bouffera... J'ai déjà mémorisé sa coiffure cendrée et sa haute stature. Je le reconnaitrais dans une foire d'hoplites si je le voulais (et Naëvi m'indiquera le chemin bien sûr).
Je croise les bras, second réflexe primaire avec exactement le même but que le premier. Bien que sur le papier c'est censé me donner plus de contenance. Mais je suis toujours trente centimètres plus bas que lui et lever la tête pour lui postilloner sur le poitrail ça me donne le tournis.

"Bienvenue dans la tour du savoir.

Vous venez prendre une mission ? Très bien, pensez avant de repartir à prévenir la secrétaire. Elle vous fera remplir un petit formulaire et vous remettra le pack destiné à vous aider pendant votre quête.

Virgile, bibliothécaire par intérim. "

Peter Pan, un petit singe farceur se retrouvait soudainement affublé d'une banderole érigée au dessus de sa tête. Il se baladait d'une salle à l'autre passant de temps à autre par le hall d'entrée en exposant à qui voulait bien le voir, ce mot du gérant.

Moi, j'étais coincé au fond d'un fauteuil inconfortable dissimulé derrière une très haute étagère remplis de livre pas encore classé dans les rayonnages conventionnels. Pour tout dire, je me cachais d'une dindo-comptable qui espérait m'endormir dans des colonnes de chiffres pour mieux m'embarquer on ne sait où.
La peur qu'éveillait en moi les attentions si particulière de la directrice du service comptable de la bibliothèque avait suffit à abandonner Pan et à prendre la poudre d'escampette.

En ce moment, le singe en papier trainait sur le dallage du hall d'entrée. Il n'avait pas une seule idée de ce qu'il pourrait bien faire pour s'occuper puisque même lui ne savait pas où j'étais... Son désaroi s'envola immédiatement après avoir surpris la présence d'une drôle de bestiole. Un renard bleu comme la nuit moucheté de petites lueurs irisées. Il fonça droit sur l'animal et commença à escalader le canidé.

Je crois bien que c'est la première fois que ça m'arrivait. Je plissais infimement les yeux, cherchant dans ma mémoire. Non, je ne trouvais rien de comparable. Vraiment rien. Il fallait dire que dans l'Entre-Monde, j'étais plus dans une autre dimension que sur une autre planète, alors les mortels effrayés, admiratifs, fanatiques ou que sais-je encore, je n'en avais finalement plus l'habitude. Il allait falloir que je m'y fasse... Tout en sachant pertinemment que jamais je ne m'y ferai. La dernière fois que j'avais été en chasse, ou en quête, pour ainsi dire, avec un humain - ou approchant - c'était avec Achille, au terme de laquelle je lui avais concédé ma cuirasse. Elle lui avait été utile, en fin de compte, même si je ne me doutais pas qu'elle était d'une telle qualité. Evidemment, j'avais une résistance plutôt étonnante aux coups, quels qu'ils soient, alors ça ne m'avait pas forcément choqué...
Je battis encore des paupières, m'empêchant de m'abîmer dans mes souvenirs. C'était un problème, pour quelqu'un qui avait vécu trois milles ans. Quoi qu'il en soit, aucun mortel ne m'avait encore parlé de mon derrière - je considérais que le "gros" n'avait pas été pris en compte dans mon cas.

J'allais répondre un "Non" bien senti, assuré et ferme à souhait... Mais quelque chose m'en empêcha. C'était comme une gifle, et c'était extrêmement sérieux. Au fil de mon existence, j'avais appris à domestiquer un sentiment que tous les guerriers pensent avoir, et qui finit tôt ou tard par les conduire à une mort souvent inutile et dépourvue de la moindre gloire. Bien sûr, dans mon cas, ce sentiment était véritable... croyais-je.
L'instinct.

Mon instinct me hurlait de ne pas rejeter cette fille, comme j'avais l'intention de le faire. Cela me choqua sans que je ne me l'avoue vraiment, car c'était bien la première fois qu'il entrait aussi brutalement en opposition avec ma logique personnelle. Cette sensation qui valait son pesant d'or, était mise dans un émoi considérable par cette petite chose frémissante d'indignation contenue, qui semblait me toiser du haut d'un tout nouvel Olympe, qu'elle aurait elle-même inventé...

- Je...

Là, pour le coup, le mot mourut vraiment sur mes lèvres. Je lâchais un soupir pesant, un peu amusé à présent. Je ne croyais qu'à moitié mon instinct dans cette situation, malgré mon respect de celui-ci. Toutefois, je voulais savoir pourquoi... pourquoi cette fille avait réussi à l'agiter, lui qui me guidait, s'aiguisait, depuis trois millénaires.

- Comme tu voudras. De toutes façons, ça ne changera rien à...

Un mouvement rapide du coin de l'oeil me fit pivoter la tête... pour voir un singe, de papier ?! qui se jeta sur le renard de la demoiselle, l'escaladant. Je le regardais, un sourire éclairant mon visage jeune, déserté de toute juvénilité...

- Mais qu'est-ce que c'est que ça, encore ? faussement exaspéré.

Spoiler:

ça t'en bouche un coin mon grand, hein ? Je ne vais pas danser ma joie sous son nez mais presque ! Un grand sourire éclair mon visage et je défais ma position hautement hostile. J'ai gagné. Trop facile. Les hommes ne résistent pas à la boule de nerfs croisée plantureuse bombe nordique avec quelques centimètres en moins et une chevelure chocolat. Un couinement.
L'autre regarde mon renard et quand je baisse la tête vers lui (c'est bien rare quand je dois baisser les yeux pour voir quelque chose...) un truc en papier lui grimpe sur le dos. Je l'attrape par l'oreille et le soulève comme un déchet.

-Salut toi.

Je marmonne une lecture rapide du texte qu'il trimballe et bien que je sois outrée d'être accueillie par un singe en papier, je relève la tête -un truc à me faire un torticolis- vers mon nouvellement nommé compagnon d'infortune. Un mouvement du menton, j'indique le secrétariat.
On y va dans le silence, j'ai gardé Peter Pan pendu à ma main par un bout d'oreille et je le laissais sur le bureau de la secrétaire alors que j'inscrivais identité et autre informations sur le papier.


Elle me remit un petit parchemin inscrit "Perçant, utilisation limitée". J'ai jamais testé ces choses là, le voyage sera rapide et fun, pour un peu je serais capable de faire durer la mission juste pour m'amuser avec le titre. Si je me l'offrais ça irait sûrement plus vite. J'aurais les moyens en plus !

-J'espère que t'as caché ton sac de couchage là dessous vu qu'on part maintenant !

Un éclat de rire, j'attrapais son bras et dans le glorieux bruit d'un bouchon qu'on dévisse nous disparaissions comme par enchantement. Prochaine étape : Vink.

Spoiler:

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