A l'Auberge Providence

Avenka, comme à son habitude, cherchait un coin pour se restaurer sans trop débourser, car son porte-monnaie avait aussi faim qu'elle. Il n'y avait pas de petits boulots pour les jeunes filles comme elle, et elle ne savait pas faire grand chose à part courir et sauter.

C'est en traînant les pieds qu'elle se dirigea vers le panneau. Elle lut le menu. Chocolat gratuit, menu à 1 pim's ! Quelle aubaine ! Elle n'avait pas vu mieux depuis qu'elle marchait à travers les rues.

Elle entra, discrètement, et se faufila comme une ombre jusqu'au comptoir. Elle s'assit tout au bout, le dos appuyé contre le mur, et attendit que le patron se montre.

*Jolie petite auberge !* pensa-t-elle.

Et contemplait ainsi la douceur de ce modeste établissement, et trouva qu'il n'y avait rien au monde de plus chaleureux.

Al, dans son tablier tout neuf, continuait de rédiger sa liste de recettes étranges, dernière chose qu'il avait à faire avant que son auberge soit vraiment complète, lorsque la sonnerie indiquant l'entrée d'un client retentit dans la cuisine. Il termina sa rédaction, passa vite fait se laver les mains, et sortit de la cuisine, radieux, en passant derrière le comptoir.
Il vit au bout une femme, qui semblait sortir à peine de l'adolescence. Non pas qu'elle avait l'air excessivement jeune, mais certains de ses traits montraient qu'elle n'avait pas encore sa majorité. Ses paupières étaient teintées de vert, chose qui se voyait au premier coup d'œil, et elle ne semblait pas pauvrement vêtue. Un certain charme émanait de son corps mince, et tenait sûrement dans la sveltesse et la souplesse de son maintien.
L'ange s'approcha à grands pas, fébrile de recevoir sa première cliente.

- Bonjour ! Soyez la bienvenue à l'auberge Providence ! Que désirez-vous, mademoiselle?

Il avait gardé le sourire depuis qu'il l'avait vue, mais ce n'était pas le genre de sourire forcé auquel s'adonne les commerciaux qui veulent donner bonne image ; il était vraiment heureux de recevoir un client.
Il sortit un calepin et un crayon, puis regarda la jeune femme.

- Oh, et comme c'est votre première visite, tout sera gratuit. Après tout, j'estime qu'on ne devrait pas avoir à payer pour goûter quelque chose dont on est pas sûr que le goût nous plaira.

- Vous êtes très gentil ! Mais je suis sûre que votre cuisine me plaira. Je voudrais bien un chocolat chaud et euh... le potage du Rossignol !

Un sourire éclaira le visage d'Avenka. L'homme, ou plutôt l'ange, avait de ces visages auxquels vous voudriez sourire toute la journée.

- Votre auberge est... magnifique ! s'exclama-t-elle d'un air enjoué. Je n'aurais malheureusement pas la chance de visiter les chambres. Mais je souhaite à cet établissement une grande ascension sociale !

*Tout est parfait, ici, pensa-t-elle. Elle se sentait en sécurité ici. L'ange avait une présence tranquillisante pour Avenka, elle aurait voulu ne jamais quitter ce lieu, rester éternellement sur son tabouret, à effleurer du bout des doigts le comptoir bien poli. Elle regardait le plafond avec la même intensité que le ciel, comme si elle y voyait les nuages...

Al sourit au compliment, puis nota la commande sur son calepin. Il plaça son stylo sur son oreille, et rajusta son tablier.

- Très bien, votre chocolat arrive dans un instant, et le potage d'ici quelques minutes.

Il se dirigea vers la cuisine, y entra, posa le calepin et se mit à la tâche. Une ouverture dans le mur permettait au Chef de pouvoir surveiller ce qui se passait dans son auberge, en même temps qu'il cuisinait, et il pouvait donc parler avec sa cliente, tout en lui préparant sa commande.
Il rougit aux compliments concernant son auberge. Il avait sué sang et eau pour la rendre telle qu'elle était, et n'en était pas peu fier. De plus, si elle s'y sentait bien, ce n'était pas grâce au don de l'ange, pour une fois, ce qui intensifiait sa satisfaction.

- Je vous remercie. Il vient d'ouvrir, et vous êtes ma première cliente. Je me réjouis qu'il vous plaise déjà, cela est de bonne augure. Mais j'imagine qu'il me faudra attendre avant qu'il soit vraiment fréquenté.

Le chocolat fut près alors que le potage, quasiment prêt, partait cuire. Al se dépêcha d'apporter la boisson à la jeune femme, et resta là, surveillant de quelques coups d'oeil le potage, pour vérifier si tout se passait bien.

- Qu'est-ce qui vous amène dans le coin?

Le son du rire de la jeune femme résonna dans l'auberge vide, suivi de celui de l'aubergiste. Heureusement que c'était délicieux ! Manquerait plus qu'il serve des trucs immondes !
Un endroit accueillant pour passer le temps. Bah l'auberge servait exactement à ça ! Et il ne devait pas y avoir beaucoup plus accueillant - peut-être l'hôpital... quand il était pas plein. Enfin après, tout dépendait. Il n'allait pas hésiter à jeter dehors un fauteur de troubles.

- Eh bien à vrai dire... J'ai toujours voulu les gens heureux, les aider à se sentir bien. Et ainsi, en leur fournissant un lieu confortable et des mets agréables et amusants, j'espère que la clientèle sera heureuse.

C'était toujours plus efficace qu'utiliser le don de l'ange sur chaque personne qu'il croisait. Et après tout, un bon plat, des bons amis, une bonne ambiance, de quoi avait-on besoin d'autre?

- Excusez-moi de présenter mon auberge si vide, cependant, mais vous comprendrez qu'elle vient d'ouvrir, et les clients se font encore attendre.

L'ange fit un sourire à la jeune femme, dont il ne savait toujours pas le nom. Il aurait bien aimé savoir comment s'appelait sa première cliente. Mais lorsqu'il allait ouvrir la bouche pour le lui demander, elle finit précipitamment son chocolat, lui dit qu'elle avait besoin de courir, et sortit sans cérémonie.
Il fut un instant surpris, puis il eut un sourire pour lui-même, avant de s'en retourner dans sa cuisine.
Le potage était presque prêt, il ne manquait plus que la touche finale et secrète du Chef. Il en sentit et en apprécia l'odeur. Oui c'était fin prêt.
Il prit une assiette, la remplit, et alla la poser sur le comptoir, attendant la jeune femme qui ne devrait pas tarder à arriver. Il n'osait pas l'appeler, préférant attendre qu'elle ait fini ses déambulations.

- Les jeunes de nos jours, il ne tiennent plus en place...

Puis il se rappela que lui aussi était encore jeune. Il lui arrivait de s'agiter également, de temps en temps, bien qu'il ait toujours possédé un tempérament plutôt posé.
Le potage n'était pas prêt de refroidir, aussi avait-elle encore le temps de se dégourdir les jambes.

Al fut surpris par le retour pour le moins original de la jeune femme. En voilà une qui tenait vraiment pas en place. Il n'imaginait pas ce qu'il risquait de se passer si elle buvait une tasse de café.

-Il n'y a pas de mal, il n'y a personne à déranger ici, pour le moment, alors si ça vous fait du bien, amusez-vous.

Il avait un ton rieur, et son humeur s'y accordait. Survoltée comme elle était, elle risquait de courir dans les rues en chantant comme un rossignol après qu'elle ait bu son potage. Mais cela pourrait peut-être lui faire un peu de publicité.
Sa question le prit cependant au dépourvu.

- Eh bien... J'ai longtemps trouvé ma vie ennuyeuse, en effet, mais depuis que je voyage, et que je tiens cette Auberge, je peux vous dire que ma vie a pris un tournant pour le moins... pimenté !

Il lui fit un clin d'oeil, puis rajouta :

-J'imagine que c'est votre cas, également. Rien ne doit être trop agité pour une jeune femme aussi dynamique?