Résonance [pv]

Mon bureau est ainsi fait qu'une salle attenante jouxte la pièce principale. Entre deux étagères, une légère arcade de pierre, un miroir. Peu de gens peuvent pénétrer de l'autre côté, c'est un endroit invisible et rempli de mystère pour quiconque. Ilinca elle-même ne sait rien de ce qui se passe de l'autre côté du miroir. Et si j'en sais les moindres détails, quand je traverse la surface métallique pour regagner l'intérieur du vrai bureau, elle me regard de son visage inexpressif et si son coeur est assaillit de questions, elle n'en pose aucune. C'est ainsi établi qu'elle se doit d'être aussi discrête qu'efficace. Elle ne peut alors rien demander et doit se contenter de ce que je lui donne sans jamais exiger plus. Et cette fois, si elle n'osa relever ni mon apparition soudaine au travers du miroir, l'invité surprise qui se tenait là, lui, cru bon de s'insurger contre le quart d'heure de retard que j'avais pris.
Et après ses vociférations incendiaires, Ilinca le raccompagna à la porte, sans qu'il ne puisse rien exposer ni demander, quand bien même nous avions rendez-vous sur un projet "de la plus haute importance". Je connais le maitre de K'ouen et ce projet si révolutionnaire ne sera jamais approuvé même si je lui allouais les fonds et investissais dans ce pont entre Atlantis et la ville... Wergeld Ulsarys est un conservateur et un jeune homme prudent. Jamais ce pont ne prendra vie à moins de lui forcer la main... Et pour cela il faudrait déjà savoir sur quel point sensible appuyer. Qu'y avait-il de fragile chez lui ? Son second est un homme tout aussi discrêt, et bien trop soutenu par de vieux sanctuaris et quelques nobles sur lesquels je ne peux pas compter. Le petit maitre Caliope Inari elle aussi serait une chose qu'il voudrait protéger. Mais comment approcher un maitre aussi colérique ?

-Madame ?

Fit Ilinca en me coupant dans mes pensées. Je lui souris avec bienveillance, les vieilles habitudes me collant à la peau plus encore que la sueur de ses journées épuisantes.

-Je sors.
-Je fais appeler le chauffeur.
-Non. Je sors seule. Charge toi de recevoir mes prochains rendez-vous. j'ai demandé à réunir ces trois... un signe de la main suffit à lui faire comprendre le fond de ma pensée. Dis leur que nous refusons les dossiers. Je ne prêterai pas des milliers de pims pour des projets de recherche que d'autres effectuent avec moins de moyens et plus de cervelle.
-Que dois-je faire pour... Enfin vous savez.
-Dépose tout ceci dans mon bureau dès que nous l'aurons récupérer. Je m'en occuperai à mon retour.

Elle s'inclina respectueusement alors que je passais devant elle.

-Une dernière chose. Ses yeux mi-clos en disaient long sur son état d'esprit. Deux jeunes hommes attendent dans le couloir en ce moment même. Elle leva un sourcil circonspect, l'instant d'avant, il n'y avait personne. Dans le tiroir tu trouveras deux badges vierges, donne-leur et fais les sortir par derrière.

Elle obéit et attendit bien évidemment que je sois sortie avant de s'en aller vaquer à ses occupations.

Il faisait beau et merveilleusement chaud sur Tern aujourd'hui. Et en ce milieu d'après midi dans les ruelles goudronnées et dans la foule exultante de crème odorantes et d'huiles parfumées, suant sang et eau dans la chaleur de cette admirable journée bondée d'âmes en activité, il y avait des coins d'ombre, que je traversais le pas aussi lent que l'air était lourd. Mon regard argent scrutant l'horizon de têtes et de rires sans les voir. J'étais comme le reflet sur le métal sombre de cette avenue. J'avançais sur les vitrines transparentes imitant mon apparence tant mes vêtements clairs leur renvoyait de lumière. Je me sentais comme le coquillage trimballé sous la vague.
Pour échapper à cette foule malodorante, grouillante comme un nid de fourmi effervescent, je méchappais à la terrasse d'un café. Anonyme déesse parmi les gens se massant sous les parasols ornant les tables. Qui irait demander à cette femme tout de blanc vêtue qui elle était. Personne, il n'y aurait que moi pour me poser cette étrange question. Les cafés étaient bondés de monde, rempli d'un va et vient incessant. Je me trouvais chanceuse d'avoir su m'assoir à cette table avant qu'un couple d'adolescent mal appris n'ose occuper cette table. Une jeune serveuse débutante mit du temps à venir voir à ma table, si bien que j'avais pris le rythme de marche accélérée des passant, claquettes rampantes sur le sol et le soleil laissant das marques sur leur peau, tantôt rougies tantôt dorées. Des créatures de tous les gens, parfois si grandes qu'elles projetaient des ombres sur la terrasse, parfois si petites qu'il me fallait baisser les yeux pour les observer passer.

Elle m'apportait ma commande, elle avançait bien jusqu'à ce que son plateau se retourne sur le sol, les boissons avec lui. Le problème ? Une marche glissante car bien trop polie par les allées et venues régulièrement. Ma vision fut un instant perturbée par un amas de sac et une jeune femme intervenant avec la rapidité et l'habitude de la guérisseuse. Je notais à son savoir faire qu'elle en était une sans aucun doute possible.
Mais ce n'est pas cet élan de générosité qui me fit froncer les sourcils, mais plutôt les vociférations du gérant de cette buvette citadine... Cet ours mal léché me vrillait les tympans à rugir de la sorte et la serveuse n'en menait pas large entre sa main blessée et les clients qui ne cessaient de la fixer d'une curiosité malsaine, maladive. Non, instinctive.

Quand je sors de mes pensées une main est tendue vers moi, cette guérisseuse. J'eus le temps de noter son prénom, son nom, son statut de guérisseuse et son sourire. Une femme gentille sous tout rapport, qui donne de sa personne sans chercher récompense en retour. Je note. Toujours.
Je ne lui serre pas la main, je lève le menton de mon bras posé sur la table qui me servait d'appui et je la salue d'un mouvement de tête. Plutôt que de me présenter, je me lève alors que le gérant du café sort sur la terrasse s'excuser auprès des clients gênés par "l'incompétence de sa serveuse". Il se dirige vers moi, il me remarque plus que les autres parce que je suis moi, Dinu Mihai et je n'ai aucune bonnes intentions pour lui. Un mouvement sec de la main, des verres d'étain apparaissent sur ma table, empilés les uns dans les autres. Il les observe incrédule.

-Prenez !

Il s'exécute sous mon regard. Je le sens fébrile. Sait-il qui je suis, quel est mon pouvoir ?

-Faites venir votre serveuse avec deux limonades et téléphonez pour faire bétonner cette marche trop usée, fis-je en lui indiquant la source de tous ses ennuis. Dites que Dinu Mihai et la Banque de Tern paieront la facture et ne reparaissez plus devant moi sans raison, j'ai assez supporté les décibels que vous êtes capables de produire en vociférant à tout va !

J'ai par trop attiré l'attention sur moi. La finance est un métier de discrétion, de réflexion et non de spectacle. Quand cet avare gérant disparait à l'intérieur de son commerce, je me rassoit devant la guérisseuse et mon sourire se fait doux, paisible et calme comme une tempête disparu à qui succède le soleil hivernal.

-Je me nomme, Dinu Mihai. Acceptez mon invitation à prendre un verre.

La serveuse déboula comme synchronisée et s'extirpa de la fraiche salle intérieure pour descendre une nouvelle fois cette marche dangereuse. Paniquée, sûrement, encore sous le choc, encore plus sûr, elle glisse à nouveau, Je lève les bras par réflexe, une chape d'argent se propage et encercle ses jambes et son bassin comme une vague s'élevant vers le ciel. Et la chute n'aura pas lieu. La serveuse est si soudainement bloquée dans ses mouvements quelle ne remarque qu'après une seconde d'hésitation la sculpture d'argent qui la maintient debout. D'ailleurs, je suis moi aussi levée, les bras tendus devant moi... Que ne faut-il pas faire pour passer une après midi en paix !
Elle me supplie du regard de la libérer, je cède à sa demande en délassant avec prudence l'argent qui disparai en paillettes autour d'elle et macule le pavé du trottoir où cette terrasse a pris ces quartiers. Finalement, elle dépose les verres sur la table, sourire gêné et peut-être un peu terrifiée, elle s'incline et s'enfuit comme une voleuse.
Il est temps que je m'asseye à nouveau...

-Remercions les dieux que ces verres nous soient parvenus avant de finir sur le pavé, annonçais-je finalement.

Et les dieux savent que je suis des leurs.

[c'est un peu nul désolé T.T]

Madame Mihai... J'en écarquillais les yeux longtemps après qu'elle l'ait prononcé. Entre cela et... Je devais de garder mon calme. Dans un sourire, je saisi mon verre et avalais une gorgée de la boisson pétillante, j'avais besoin de rafraichir ma gorge soudainement crispée.

-Aliénor, c'est cela ? Mon nom complet est Dinu Mihai de Welgaia. Dinu Mihai est mon prénom.

Je n'allais pas lui raconter que Dinu était le prenom de mon père et Mihai celui de ma mère. Là d'où je viens rien ni personne, pas même mes frères aînés n'auraient un jour osé me nommer Mihai. On ne confond pas la lune et l'argent, on ne confond pas la mère et la fille.

-Quant aux dieux... Je suis née Déesse, cette serveuse peut se vanter d'avoir été quelques instants bénis par Dinu Mihai.

Et je bus une nouvelle gorgée. Qu'avaient donc les gens à se tromper sur mon appellation et mon statut ! Ne suis-je donc pas assez bien pour être une déesse, ou peut-être que mon nom est trop long pour eux. Une décennie à peine et plus personne ne respecte les choses nées au delà même de la vie. Mon humeur déclinait et si je m'efforçais de sourire et de garder un calme olympiens, je n'en serrais pas moins mon verre à le sentir grincer sous ma poigne. Encore un peu et il finira traversé d'épines de fer et de plomb avant que je n'ai le temps de le finir.

Du regard je détaillais cette humaine. À vue d'oeil s'en était une, elle ne dégageait rien qui me fasse penser à une elfe, si ce n'est son regard violet et ses cheveux d'un blanc immaculé. Mais elle était guérisseuse et cela jouait beaucoup. Les elfes guérisseurs usent bien souvent de magie, les humains sont des adorateurs de la médecine. Je ne m'en plains pas, les humains aiment les métaux pour leur précision chirurgicale et leur longévité. Je n'avais pas l'habitude de détourner les yeux alors que je dévisageais quelqu'un, c'était ainsi, je regardais sans honte et ne craignais rien. Je n'avais de toute façon rien à craindre, surtout d'une guérisseuse.

-Vous n'êtes jamais allée à la banque de Tern, n'est-ce pas ?

Je disais cela comme j'aurais pu parler du soleil et du ciel clair. Ilinca accueillait les clients pas moi, je ne voyais presque personne si ce n'est mes collaborateurs directs... Alors même si elle venait tous les jours depuis l'ouverture de la banque je ne l'aurais jamais remarqué.

Elle me semblait jeune, vraiment jeune. Quelques années, un instant très court si on compare à la capacité d'existence d'un dieu. La vie des humains est si fragile et pourtant ! On penserait qu'un dieu voit le temps d'une autre manière et bien non, vivre parmi des créatures dont l'espérance de vie est aussi limité fixe le rythme de votre propre vie au travers de leur société toujours plus dynamique. Un dieu vie et voit lentement lorsqu'il est seul et dans un monde changeant au même rythme que lui, et je me sens l'air humaine à ce titre quand je vois ces dix dernières années qui furent si longues à mes yeux.
Je ne cille pratiquement pas quand je l'examine, je regarde sa gêne avec autant d'insistance que son attitude entière. Elle est réservée et respectueuse, elle parle facilement d'elle, c'est une jeune femme amicale et naïve qui n'a pas peur de souffrir en retour de sa trop grande générosité. Chez moi on appelle ça une bonne poire. Elles sont toujours attendrissantes, et sont à la fois les première à chuter quand les choses vont mal.

À chuter si les choses vont mal... Je me demande si je serais peinée qu'il lui arrive quelque chose. Drôle de question et pourtant fière interrogation, je crois, je pense, j'envisage que non et que oui, que non car je reste Dinu Mihai, mon caractère est celui du métal froid, insensible à tout si ce n'est aux aléas du temps, si ce n'est aux énergies qui le nourrissent et l'exploitent. Je sais brûler et crépiter entre les mains du forgeron et voilà bien tout ce qu'une existence métallique peut bien connaitre, et que oui car je suis un être de l'entre-monde aujourd'hui. Sourire et regard paisible, je me calme et somnole en moi l'indifférence de ce monde en mouvement auquel j'aspire à en posséder une partie. Je dois avoir l'air d'une statue souriante, à ne pas esquisser le moindre geste pendant qu'elle parle. Elle parle beaucoup d'elle. Je me rends compte qu'elle a peur de s'imposer comme un avertissement à mon égard sur ce que je pourrais voir elle me raconte ces choses sur son état et ses sentiments.

-Eönwë. Une amie du maitre de K'an. Pour une nouvelle arrivante en ville vous avez su vous faire des amis hauts placés. Moi-même je n'ai jamais rencontré le nouvel administrateur des fumeroles.

Maladroite et idiote ? Je dirais surtout candide. Elle doit se sentir à l'étroit dans cette grande ville et ses coutumes si variées. Avec le temps elle apprendra à se repérer. Les humains ont pourtant une formidable capacité à vivre à un rythme effréné, comme si le temps leur filait entre les doigts comme des poignées de sables. Et en même qu'ils sont lents à s'adapter ! Je devrais m'estimer heureuse qu'il soit déjà capable de le faire.

-Vous dites que vous avez vécue dans la zone du dehors. Eloignée ou proche de la ville ?

Interrogatoire dans les règles. Je me demandais bien ce qui pouvait me pousser à m'intéresser à cette jeune femme, je ne faisais que partager ma table après tout.

Proche de la ville. Elle devait vivre aux abords du rempart dans une région boisée, les alentours encore sereins d'Ing peut-être ou d'autres régions... Qui sait !
Pourquoi prendre toutes ces choses en note. Je l'ignorais, je faisais fonctionner ma mémoire millénaire aussi facilement qu'on userait d'un stylos pour noter ces choses qu'on a peur de voir un jour disparaitre aussi facilement que les mots prononcés à voix basse. Il s'agit du même mécanisme que celui qui nous pousse à gribouiller un coin de papier alors qu'on discute de tout et de rien au téléphone, de la même façon on pianote sur une table, impatient de voir le temps passer.

Et puis vint le rire. Un rire fait d'éclat tranchant, de ma voix clair et chantante. Parce que mine de rien, elle m'amusait. Elle était drôle car ses questions étaient naïve, autant qu'on puisse l'espérer d'une enfant de la zone du dehors découvrant cette ville. Les gens d'ici ne poseraient pas cette question.

-J'ai inventé la finance à Entre-Monde. M'imposer ? Ce fut d'une simplicité remarquable !

Quant à depuis quand je suis ici... Un peu trop longtemps tout de même. Plus que dix ans, moins d'un siècle. Longtemps, assez pour ne plus ruminer l'absence de mes anciens pouvoirs divins, assez pour ne plus me retourner sur les dieux qui vivent eux aussi dans ce monde intermédiaire et qui comme tous le monde sont bloqués et impuissants. Comme je déteste ce monde et comme je l'aime à la fois. Je suis la finance, je suis la monnaie. Je permets le commerce et l'activité de la ville. Je suis le sang dans les veines de l'entre-monde.

-Un sang liquide comme le mercure et brillant comme l'argent, murmurais-je à moi même.

Et la limonade pétilla sur la langue, picota mon palais et disparu dans ma gorge comme coulant dans un boyau métallique. Ma rigidité me réveilla un peu. Ce n'était pas le moment de rêvasser.
Mon rire s'était estompé, ne subsistait qu'un léger sourire. Parce que je devais l'avouer, elle était drôle cette petite guérisseuse.