Si on prend les 3 premières lettres de "champignon" et qu'on rajoute un T...

Cygne était partagé entre sa méfiance naissante et le respect que lui inspiraient les multiples références professionnelles de Pwyll. Si même en Entre-Monde, on venait le consulter, c'était bien qu'il y avait plus là-dedans que de simples superstitions. Qui était-il ? Il affirmait résoudre les problèmes des gens. Un psychologue ? Un inventeur ? La curiosité le dévorait.

Mais avant qu'il ne puisse poser la question, Pwyll la lui retourna. Il se mit à balbutier en rougissant.

Grand ? Lui ? S'agissait-il d'un compliment sur son caractère ? se demanda-t-il d'abord, impressionné par l'expertise inconnue de son interlocuteur.

Non... sans doute pas. Grand par la taille, alors. Il l'était certainement bien plus qu'un chat, mais il n'avait jamais considéré ça comme un de ses traits les plus notables. On l'avait déjà traité de grande asperge, mais c'était principalement parce qu'il n'avait pas un gramme de graisse sur les os.

"Ah bah, c'est gentil à vous de dire ça, mais c'est que pas vraiment en fait ? Je vis encore chez mes parents, je prends une mission à la bibliothèque de temps en temps... mais rien de trop dangereux parce que bon, je suis meilleur avec un pistolet dans les jeux vidéo que dans la vie réelle..."

Plus il parlait et plus il sentait le manque total d'intérêt de sa petite vie peser sur ses épaules. Il faisait bien pâle figure à côté d'un chat mystique.

"Et vous alors ?" détourna-t-il le sujet avec empressement. "C'est quoi, votre commerce ?"

Comme une souris entre mes pattes, il est nerveux. Le bus s'en allait avec son issue de secours. L'oeil posé sur son gabarit, je sens qu'il va m'être utile à quelque chose. A passer le temps ou à faciliter mon travail. Je vais devoir me décider s'il me sera utile pour le travail ou pour la journée... Le choix est cornélien.

-Les armes ne sont pas mon domaine, comme vos jeux vidéos...

Ce n'est pas en faisant la causette sous cet abri humide que je vais financer mes prochains dîners ou payer le loyer de mes bureaux. Moustaches frétillantes je poursuis le regard du garçon, ramassé sur mes pattes avec l'intention pacifique d'en faire mon allié. Ou un serviteur s'il en est capable.

-Vous me faites penser à quelque chose. Vous dites apprécier les plaisirs des petites missions de la bibliothèque. Peut-être songez-vous à un nouveau passe-temps tout aussi bien payé ?

Je tourne et retourne sur moi-même, mes coussinets frigorifiés ne trouvent pas de position confortable dans cet endroit. Faisons vite nos arrangements que j'aille rapidement me réchauffer sur quelques coussins moelleux.
Ma grande scène se présente et j'étoffe mon poil en gonflant la poitrine. Je le regarde dressé comme un lion.

- L'ami, je suis détective privé. Le meilleur de Rivetiel.

*Probablement le seul*

-Et puisque nous parlons boutique, que diriez-vous jeune homme de mener une enquête en ma compagnie ? J'aurais bien besoin de deux bras

*de pouces*

-et deux jambes robustes comme les vôtres. Avec votre allure, vous m'aideriez grandement à pister un disparu.

Détective privé ! Il fallait bien avouer que c'était la dernière chose à laquelle Cygne s'attendait. Effacées, ses visions de chevaliers en armure menant des quêtes légendaires à la recherche de l'être le plus sage du royaume ; effacée, la forêt mystique où se perdaient les âmes indignes ; effacé, l'image de Pwyll en robe de mage avec un chapeau pointu.

Il n'était donc plus dans un conte de fées mais dans un roman noir. Le changement de décor était radical ! Pourtant, cette nouvelle équation n'était pas dénuée de charme, loin s'en fallait. Un chat noir détective privé. C'était rocambolesque. C'était thématiquement approprié. C'était aussi très classe.

Cygne ne réussit à refermer sa bouche entrouverte d'admiration que quand il réalisa pleinement l'offre qui lui était faite.

"M-m-moi ? Moi, je pourrais vous aider ?" s'exclama-t-il.

Et être payé ? Etre payé à aider un détective privé ? C'était quand même plus intéressant à ajouter à son CV que "A servi de clown pendant la campagne de vaccination d'un zoo". Nul besoin pour Pwyll de le flatter, il hochait déjà la tête avec enthousiasme.

"Oh oui ! Dites. Carrément ! Je dois faire quoi ? Je commence quand ? Je dois m'habiller en noir ?"

Et acheter un trench-coat et un chapeau à larges bords ? Oh, c'était sans doute un peu trop cliché. C'était mal, les clichés, non ?

L'enthousiasme de la jeunesse et son imprudence m'aurait fait sourire. Ce serait vulgaire, un chat ne sourit pas. Je ne montre mes dents qu'à la condition de m'en servir.
Une patte tendue vers le jeune homme je l'invite à sceller notre accord.

-Cygne, nous sommes à présent partenaires.

Dignement, ni l'un ni l'autre ne parla honoraires. C'était tant mieux, l'enquête débutait et aucun cachet valable n'avait encore atterrit sur mon bureau.

-Prenons le prochain bus, je sais qui nous allons voir. Et...Surtout ne vous habillez pas en noir, j'en porte assez pour deux détectives.

Le bus approchait l'arrêt, il se dirigeait vers le nord de Tern, tout mouillé et tout gris comme le quartier. Le chauffeur, grisâtre comme le reste, fit s'ouvrir les portes de son véhicule, son regard franc penché sur nous, donnait à son horodateur l'air d'un trésor protégé par un sphinx grassouillet.

Je fonçais au fond du bus pour trouver un siège libre et sec. A mon nouvel équipier junior je devais développer mon affaire. Sans trop en dire, pour qu'il soit pendu à mes babines tout au long de notre dossier.

-C'est une affaire de coucherie comme les humanoïdes les aime. Nous cherchons un homme. La maitresse en quelque sorte du fiancé volage.

Habile avec mes griffes, je pris sous mon gilet une copie de la photo du garçon.

-Pour la petite histoire, il aurait fait ses petites affaires au Love Hotel, avant que ce dernier ne déménage à Rivetiel. Le même jour un homme a été assassiné dans l'hôtel. ça a fait les choux gras de Tern et c'est comme ça que j'ai retrouvé un témoin possible pour notre affaire.

Rien de difficile jusque là, l'habitué avait témoigné pour un journal local. Un recéleur de Magna m'avait donné son adresse, pensant à tort que je voulais le cambrioler. Tout ça en échange de quelques objets précieux pour ce dernier...

-Je n'ai pas encore trouvé comment l'aborder pour lui parler. L'affaire de meurtre ne nous intéresse pas vraiment, mais il serait dommage de se priver d'un double cachet si nous en trouvions l'auteur par hasard. Vous voyez ?

Cygne serra la patte de Pwyll, les yeux brillants et la tête pleine d'aventures rocambolesques et de filatures dans des ruelles sombres.

Son Cygne imaginaire, en costume noir et lunettes noires, subit pourtant un revers de fortune quand Pwyll désavoua sa garde-robe. Il fronça les sourcils, dépité. Lorsque le bus arriva, c'est machinalement qu'il suivit son nouvel employeur, trop préoccupé par son dilemme vestimentaire pour prêter attention aux autres passagers.

Néanmoins, lorsqu'il s'assit près de Pwyll, il était à nouveau toutes écoutilles ouvertes. Il étudia la photo avec le plus grand soin et écouta attentivement l'exposé de l'affaire. Une histoire d'infidélité ! Comme dans les romans ! Et en prime, une histoire de meurtre... aussi comme dans les romans, mais ceux-là se terminaient souvent moins bien.

Cela ne l'empêcha pas de hocher la tête avec enthousiasme à la remarque de Pwyll.

"Oh, oui ! En plus, si vous avez retrouvé ce type grâce à l'affaire de meurtre, c'est de l'affaire de meurtre qu'il voudra parler. Tant qu'ils ne sont pas concernés, les gens adorent parler de trucs sordides. Or, un meurtre, c'est quand même plus sordide qu'une affaire de coucherie, surtout au Love Hotel."

Il se gratta le menton, pensif.

"A vrai dire, si le témoin se trouvait lui-même au Love Hotel ce jour-là... enfin, les gens qui vont au Love Hotel savent pourquoi les autres y vont. Ce n'est pas complètement impossible qu'il ressente une certaine compassion pour notre cible."

"Notre cible" ! Oh là là, ce que ça faisait sérieux et professionnel.

"Ce serait peut-être mieux de ne pas être trop franc. On pourrait sous-entendre que l'homme qu'on recherche est un suspect dans l'affaire de meurtre ?"

Au-delà des vitres du bus, la pluie tombait sans discontinuer. Les phares des voitures se paraient de halos dans la pénombre ambiante.

Ce petit n'avait pas bon goût en déguisement de détective mais il avait de la suite dans les idées. Je dois lui concéder quelques bonnes trouvailles faites en peu de temps. J'ai toujours eu du flair. C'est mon côté félin, je tiens tout de ma mère.

-Lui parler du meurtre serait le meilleur moyen d'en savoir plus. Mais lui parler de suspect, ce serait louche. Je n'ai pas de badge de sanctuari contrefait sur moi. S'il nous les demande, nous ne pourrons que nous excuser et partir...

Il me venait une idée surprenante. J'étais un peu dégoûté, c'est le genre d'idée qu'un humain aurait eu. Vendre son prochain comme ça c'était trop peu élégant pour venir d'un Thoran. Un Chat ne devient pas détective non plus. Je crois que l'élégance n'est plus un problème à présent. Si au moins ce sacrifice payait à lui seul le loyer de mes bureaux, ça m'ôterait une épine du coussinet.

-Quel âge avez-vous, Cygne ? Pour inventer une histoire... J'ai une idée puisque je vous regarde à l'abri de la pluie. L'homme de la photo est jeune et l'adultère qu'il a aidé à forfaire se consommait avec un autre homme.

Les yeux plissés, j'examinais les réactions de mon partenaire à ce début d'idée.

-Vous voyez où je veux en venir ?

Un badge de sanctuari contrefait... Cygne déglutit et essaya de prétendre qu'il n'avait rien entendu. Enfin, répondre aux questions d'un détective privé, c'était quand même la classe ! Pourquoi un témoin demanderait-il à parler à un sanctuari ? Les gens étaient beaucoup trop méfiants, dans la vie.

Mais il ne voyait pas trop ce que son âge venait faire dans l'histoire. Puis Pwyll développa et Cygne le dévisagea, les yeux ronds.

"Euh, ben, je... c'est que..." balbutia-t-il.

Non, il se trompait sûrement. Il attendit que Pwyll lui annonce qu'il s'agissait d'une blague, mais le chat n'en fit rien. Cygne se ratatina sur son siège, les joues mauves d'embarras.

"Je ne vois pas trop trop, non," avoua-t-il, la bouche perdue dans le col de son blouson. "Je suis mineur, donc le Love Hotel, c'est pas... Enfin ça dépend ce que vous voulez que je fasse, hein, chais pas. Je peux passer pour jeune majeur, et tant qu'il faut juste discuter..."

Comme il le démontrait quotidiennement, discuter, c'était son fort. S'il fallait flirter, par contre... même au Speed Dating, il en avait été incapable. Il n'y avait guère que dans les jeux vidéo de relations virtuelles qu'il ne se faisait pas des nœuds à la langue en essayant.

Mon jeune ami se fit un visage embarrassé. J'aurais été touché si je n'étais pas un chat. Comme tout Thoran qui soit, je patientais jusqu'à ce que sa langue se délie, lui jetant un regard grand ouvert sur mes pupilles étrécies d'impatience.
Il parla, assez pour balayer ses doutes d'un revers de la langue. Râpeux si je puis dire !

-Il va de soi qu'il faudra juste discuter. Je suis un détective pas un souteneur et je ne compte pas le devenir.

Le bus avançait au gré des feux verts, s'arrêtaient à des feux rouges et grillaient de loin les feux oranges. Dans cette affaire, j'avais le rôle parfait pour Cygne, mais pas le miens. Je ne pouvais pas me présenter et poser des questions comme ça, comme si... Et de rien n'était. On me trouverait louche.

-Quel rôle sauriez-vous le mieux endosser ? Il y a l'amant jaloux ou bien le compagnon délaissé ? La compassion est plus grande envers une victime, si vous pouviez jouer l'éploré comme il se doit. Quant à moi...

Je léchais scrupuleusement l'arrondit duveteux de ma patte. Là, je lui dis mon plan.

-Vous aurez un oncle protecteur, un chat noir, qui a décidé de vous prouver que votre amant était une sauteuse. Quant à vous, si vous me concédez la réplique, vous tenterez le diable pour le retrouver et me prouver le contraire. Que pensez-vous de ce plan associé ?


Créer de la confusion pour mieux soutirer les vers du nez d'un libertin. J'allais au devant de gros ennuis si mon nouvel ami se défilait au moment clef. Quoique... Je ne suis qu'un chat noir.

Spoiler:

Spoiler:

Oh, si ce n'était que ça ! Cygne se détendit d'un coup. Il eut même honte d'avoir l'espace d'un instant projeté Pwyll dans un rôle aussi peu flatteur. "Souteneur", haha, en voilà une drôle d'idée ! Enfin, "drôle"... seulement a posteriori. C'était quand même mieux d'obtenir confirmation de vive voix... Il n'était pas financièrement assez désespéré pour faire le tapin.

"Le compagnon délaissé ! C'est tout moi," s'enthousiasma-t-il. "Je joue mal la colère, par contre les yeux de chaton perdu... Enfin je veux dire," balbutia-t-il, réalisant que sa formulation s'adaptait soit très bien, soit très mal à son audience. "Pardon."

Dans son désarroi, il démontra sans le vouloir ledit trait en arrondissant de grands yeux désolés.

Néanmoins, ce plan lui plaisait. Cygne était bon comédien, mais avait trop de scrupules pour appliquer ce talent au quotidien. Il ne lui servait guère qu'à se tirer de situations dangereuses. L'idée de pouvoir jouer un rôle sans couteau sous la gorge était intriguante. Cette enquête était de plus en plus passionnante, il se prenait au jeu.

"J'en pense que c'est une excellente stratégie, mon oncle !"

Il serait plus difficile d'aborder le sujet du meurtre en attaquant leur témoin sous cet angle... mais Cygne pourrait peut-être improviser quelque chose. Dans le pire des cas, ce n'était pas la priorité principale de Pwyll, de toute façon.