Si on prend les 3 premières lettres de "champignon" et qu'on rajoute un T...

C'est de très bonne humeur que Cygne quitta l'une de ses salles d'arcade préférées. Il venait de battre son record personnel sur l'une des machines, s'établissant enfin dans le top 10 des meilleurs joueurs. Gloire ! Il croisa les mains derrière sa tête et fredonna quelques notes en levant un large sourire vers le ciel. Tout là-haut, entre les gratte-ciels de Tern, l'une des îles flottantes de Ciel se détachait sur une couverture nuageuse d'un gris menaçant. Il risquait de pleuvoir très bientôt.

Le temps ne diminua pas son enthousiasme, mais il décida néanmoins de rentrer aux Fumeroles. Il glissa son casque sur ses oreilles, sélectionna une musique sur son baladeur tout neuf et se mit en marche, se fondant dans la masse de piétons de Tern. Il ne lui fallut plus longtemps pour atteindre son arrêt de bus, où patientaient déjà un dragon bipède en costume trois pièces et une cyborg au look punk.

Des fous, imprudents, couraient après des croquettes. Ils faisaient ainsi courir un chien qui n'avait que le gras sous la peau. Les piétons de Tern abandonnaient un problème un le chien car le ciel se couvrait. En plus, il y "Stupid Man" à la télé dans dix minutes.
Le chien allait enfin goûter ses croquettes lorsque je m'interposais entre lui et sa collation. Il grogna car ma queue lui chatouillait la truffe. Le balourd n'eut que ses poils pour pleurer, au dessus d'un abri-bus, je regardais le chien couiner.

Curieux, je vérifiais le contenu du paquet. Je trouvais dedans une unique grosse friandise de nourriture déshydratée.

-Allons bon. Il n'y a qu'un sac à puces pour avaler ses trucs.

Reniflant de plus bel l'objet je constatais avec dégoût les parfums du produit.

- Champignons et poulet. Je confirme. Petite chose boulote, tu as des goûts exécrables. Tu mérites bien toutes tes peines à courir l'Entre-Monde...

Le chien jappait toujours plus fort et faisait des bonds ridicules sur tous les supports à sa portée. Il bavait plus qu'un animal ne devrait en avoir le droit.

Cygne observa avec amusement le manège de chat et chien. Il fallait bien un félin pour défier avec tant d'assurance et de mesquinerie une petite bête qui jappait aussi fort. Il regrettait de ne rien avoir eu sous la main pour enregistrer la scène. La vidéo aurait fait un tabac sur le net.

Le chat patientait sur le toit de l'abri-bus, clignant des yeux peu impressionnés en direction du pauvre Puzz. Au moins le chien perdrait-il un peu de poids avec tous ces bonds. Mais même Cygne commençait à se lasser de ses aboiements, et lui avait encore son casque sur les oreilles. Le dragon reluquait Puzz comme s'il envisageait de boulotter l'animal, ce qui ne serait de bon augure pour personne.

Cygne retira ses écouteurs, posa un pied sur la poubelle publique et se hissa au niveau du sommet de l'abri-bus.

"Salut toi," dit-il au chat, du ton de quelqu'un qui parle aux animaux de compagnie et l'assume parfaitement. "Tu m'excuseras mais on ne s'entend plus penser avec tout ce raffut."

Il cueillit le paquet de croquettes et, d'un mouvement de poignet dont il fut plutôt fier, le lança dans le panier arrière d'une mobylette qui passait. Aussitôt Puzz s'enfuit à sa poursuite.

Quelle outrecuidance ! Le garçonnet me prive de mon jouet au moment où ça devenait le plus amusant. Je suis sur mes pattes à regarder dans les yeux l’impudent lui miaulant quelque chose qui ressemble à ça :

-L’ami, je ne vous excuse pas de me priver de ma distraction.

Je m'assois devant lui, ma queue venant chatouiller son nez. Ce serait bien drôle s’il éternuait, je pourrais en rajouter sur la manière dont on maltraite les Li dans l’Entre-Monde. Voilà longtemps que je n’ai pas pris plaisir à un petit esclandre en pleine rue.

Je ne venais plus si souvent à Tern. Avec mon affaire tournant à Rivetiel et mes bagages posés à Ordae, Tern c’était du passé.
C’est bien, le bitume me brûlait les coussinets de toute manière. Puis il y a l’odeur pestilentielle des pots d’échappement et des poubelles, sont-ce des humains ? Mince, je les confonds toujours...

-Vous ne vous sentez pas coupable d’avoir, peut-être, envoyé ce chien se faire renverser ?

J’ai mieux encore à lui proposer.

-Vu sa résistance au déferlement des derniers jours, ce chien pourrait bien causer un carambolage et tuer des gens. Le bruit qu’il faisait n’était pas si dur à supporter, ne croyez-vous pas jeune homme ?

J’ai tant envie de rire sur ce sermon de mauvaise foi… Je me contiens tout en dodelinant de la tête car les gloussements manquent de m’échapper. L’un des passants qui attendait le bus, lève sur nous un regard offusqué. Un peu contrarié. Lui, il avait l’air de se sentir coupable d’avoir d’abord penser au bruit de Puzz plutôt qu’aux dégâts qu’il pourrait causer.
Ici, le chien était agaçant et inoffensif.
J’avais donc une personne touchée par mon «faux» discours sur les conséquences de nos actes… Tern me manque pour ça, et les gens crédules qui se laissent avoir par les chats de gouttières.
Les villes modernes ne sont-elles pas le royaume des chats ?

Le chat n'eut pas plus tôt commencé à parler que Cygne rentra la tête dans les épaules. Du sommet de l'abri-bus ne dépassaient plus que sa tignasse ébouriffée et ses grands yeux catastrophés.

"Oh, pardon !" claironna-t-il.

Un Li ! En Entre-Monde, parler aux animaux était une chose, mais les tutoyer en était une autre. Pour la défense de Cygne, les Li se repéraient souvent de loin. Beaucoup d'entre eux avaient des signes distinctifs, comme une taille ou une couleur inhabituelle ou le port d'objets. Mais pour ceux qui se fondaient dans la masse de leurs congénères non intelligents, le malaise était vite arrivé.

Mortifié d'avoir manqué à ses bonnes manières, Cygne souffrit la queue qui lui frôla le visage sans rien dire. Il ferma les yeux et plissa le nez le temps de retenir un éternuement.

"Ben non, enfin je veux dire, non, je ne me sens pas trop coupable," balbutia-t-il sous cette pluie de reproches. "... Pour le chien, je veux dire ! Par contre je suis vraiment désolé de vous avoir tutoyé. Mais le chien, à la base c'est un danger ambulant, hein, on ne va pas se leurrer. En plus ça puait les champignons," marmonna-t-il en se recroquevillant, "et bon, moi, les champignons, hein... voilà."

Déjà que le simple fait de rentrer chez lui faisait empester tous ses vêtements... Il se sentit rougir sous le regard désapprobateur d'un des témoins de la scène.

Comment ? Pas le moins du monde décontenancé par mon discours, il avait le culot de justifier son acte... Mais que dit-il ? Y aurait des gens à l'odorat fin parmi ces géants bipèdes ?

- Je serai magnanime, jeune homme. Votre bon goût en matière de parfum vaut bien que je me laisse traiter avec familiarité.

Avancé de quelques centimètres, le port d'un sphinx devant le visage du garçon.
Un clin d'oeil félin m'échappe. Il a du répondant ce garçon, en plus j'ai besoin d'aide. Un chat d'aussi noble lignée ne pourra mener l'enquête n'importe où dans risquer sa réputation.
On sait comme c'est important... Je pourrais bien profiter de ce simple qui parle aux chats errants. Une idée germe sous mes griffes.

-Au moins présentons-nous. Je suis Pwyll des Thoran. Comme tout chat qui se respecte, l'odeur des champignons m'indispose. Manger des choses qui poussent même dans la fange...

C'est la grimace, j'y pense et j'en ai l'appétit coupé.

-Ça en garde le goût et l'odeur...

Sous la tonnelle de l'abri-bus, on s'excite. Le véhicule est en vue, traînait derrière lui le ciel menaçant le déluge.

-Mais qui ai-je le plaisir de sermonner ?

Cygne eut un rire gêné. Il ne savait jamais trop comment réagir quand il rencontrait des personnes qui détestaient eux aussi les champignons. D'un côté, c'était toujours agréable de faire connaissance avec des gens avec lesquels on se découvrait des points communs ; de l'autre, il avait l'impression de médire de sa famille dans leur dos. C'était bien le commerce de champignons de ses parents qui l'habillait, le logeait et le nourrissait, après tout. Encore qu'il se serait bien passé de la nourriture, justement...

Un coup d’œil par-dessus son épaule lui annonça l'arrivée du bus. Il caressa un instant l'idée de quitter cette conversation embarrassante en bondissant dans le véhicule, mais ses bonnes manières triomphèrent.

"Ah, moi c'est Cygne," dit-il, faisant à nouveau face au chat alors que le bus se rangeait contre le trottoir.

Il hésita un instant. Il n'osait pas croire que le pardon de Pwyll soit vraiment une invitation à continuer à le "traiter avec familiarité". Malgré tout, sa curiosité le démangeait.

"Qu'est-ce que c'est, 'les Thoran' ?" eut-il l'audace de demander.

Quelques gouttes de pluie s'écrasèrent sur ses cheveux. Il remonta sa capuche et se renfonça dans son blouson. Derrière lui, le dernier passager monta et les portes du bus se refermèrent.

Ce petit avait du courage et de l'honneur, il ne se plaignit pas de louper son bus pour continuer un conversation où il n'était pas avantagé. J'étais impressionné par ce bipède mieux éduqué que ses pairs.

-Enchanté, messire.

Chat bondissant sur son épaule, il me fallait ajouter ce que l'urgence du moment imposait :

-Pourrions-nous aller sous cet abri ? La pluie et les chats ne font pas bon ménage.

Je me sers de ce perchoir pour descendre toutes griffes dehors. Il n'est pas aussi stable qu'un tronc d'arbre, le garçon a pour lui une bonne ossature, c'est déjà bien. Le bitume odorant de pluie et de poussière sous la truffe.

-Que puis-je vous dire... interrompu par l'effort de rejoindre un siège sous l'abri, sur les Thoran ?

Il est curieux que quelqu'un s'intéresse à ceux que je représente si bien. Quelques coups de peigne sur ma fourrure ébouriffé, les dernières traces de pluie disparaissent. Il fait tellement humide, je vais friser !

-Les thoran sont une famille de nobles félins vivant dans une forêt inconnue ici-bas. Nous sommes réputés pour nos pouvoirs magiques et notre grande sagesse. Des mages du tous les royaumes venaient me questionner... L'ami, je me dois d'être honnête. Ils passaient leur temps à me chercher dans les bois, à s'y perdre et à mourir.

La pluie, ça vous déprimerait un chat même au sec.

-Les bipèdes...

"Messire" ! Il s'entendait rarement appeler ainsi en dehors des Fumeroles. Le temps qu'il se demande si Pwyll était un de ses voisins de quartier, une masse dense de muscles et de fourrure atterrit sur son épaule. Il réagit comme la plupart des gens réagissaient quand un chat inconnu les gratifiait de son contact : flatté, il arrêta de bouger de peur de déloger l'animal.

Sa résolution ne survécut pas à la séance d'acupuncture sauvage qui s'ensuivit. Ses muscles se contractèrent automatiquement. Avec un couinement de trahison, il vacilla sur son perchoir et finit par sauter à bas de la poubelle. Il boitilla sous l'abri en se frottant la cuisse.

Il commençait à avoir un mauvais pressentiment sur cette rencontre. L'histoire de Pwyll, bien qu'en soi très intéressante, ne fit pas grand-chose pour le rassurer.

"Ah," fit-il maladroitement. "C'est dommage pour eux... Enfin, je veux dire... Désolé ? Au moins ici, personne ne se perd jusqu'à la mort pour que vous leur fassiez la conversation. Enfin j'espère."

Le réseau de transports en commun de la capitale n'était pas si désastreux que ça.

Il s'assit sur le siège près de Pwyll et étendit les jambes. La pluie tombait juste au-delà de ses baskets, rebondissait sur le goudron et éclaboussait ses semelles. Elle s'intensifia jusqu'à former un rideau gris devant l'abri.

"En fait, habiter en forêt ce n'est pas le bon plan pour recevoir de la visite," se fit-il la réflexion.

Il était brave ce garçon, avec des pouces opposables et une taille honorable pour un bipède. L'idée faisait son chemin et Cygne piquait mon intérêt.

-Ne vous excusez pas pour eux. Qui va donc parler à un chat pour trouver remède à ses problèmes ? Je me sens obligé de vous reprendre, l'ami. Car vous avez tort sur un point. Des gens sensés viennent toujours md voir pour trouver des solutions à leurs problèmes. La sélection naturelle s'est perdue en chemin et c'est bon pour mon commerce. Au moins...

Je mimais son ton un peu trainant.

-Pour venir à mon bureau, il n'y a pas de forêt.

Tassé sur mes pattes bien logées sous mon ventre, Cygne n'était pas un chauffage attirant. Je regrette presque les robes de velours des femmes d'Ordae. Elles font des coussins de secours humbles mais honorables même pour un chat.

-Que faites-vous dans la vie ? Un si grand jeune homme doit avoir une vie trépidante.