[SCENARIO] Arcturien n°3 : Dahrien

L’odeur de la cendre tapisse ma langue, l’air est comme calciné. La nuit est totale, quelques étoiles caressent encore la voûte céleste et si ce n’était leur chiche lumière lointaine, nous pourrions nous croire dans une mine de charbon.
Ayame se tient à mes côtés en silence, nous attendons patiemment l’arrivée des chasseurs d’arcturiens. Ils ne savent pas à quoi s’attendre, seulement à une mort potentielle. Je suis couvert de suie, il pleut sur les ruines d’Imlath, une pluie épaisse, sèche, des flocons de cendre venus d’ailleurs, venus d’ici. Derniers vestiges de ce qui fut une forêt primaire aux arbres millénaires.

La bataille dans le village forestier a été rude, les morts innombrables car Dahrien cette nuit s’est éveillé.

Cette fois, ça y est, l’équipe arrive. Kilyan, Karan, tous deux commissaires de K’ouen et Azura une parfaite inconnue, pour chasser le plus terrible de tous les dragons.

-Bienvenue en enfer, leur dis-je en guise de bonsoir. Dahrien est introuvable, il a enflammé ce village hier soir et depuis il a disparu. On ne sait pas comment il se déplace mais il y a trois jours on le repérait à presque un demi-mille d’ici… Il est rapide et invisible, on ne sait pas pourquoi. Alors si vous avez dans votre manche un pouvoir caché qui me dirait où se trouve le dragon. Je suis preneur.

Ayame en silence apporte les montures une à une, leurs fusils à chacun. Je les laisse prendre la température du danger qui nous entoure.

Les équipes sur place sont minimales. Deux miliciens se tiendront en retrait avec Heimdall, mon loup, ils ont pour ordre de nous extirper de là en cas de très gros pépin.
Dernière chose à déterminer. Quand on combat un dragon de plus de trente mètres de haut, cracheur de feu et ne se déplaçant que de nuit, à partir de quand on considère que c’est un très gros pépin ?

C'est à cet instant que l'elfe en profite pour s'éclipser. Il doit gérer des évacuations et des équipes de secours sur le terrains et dans une région aussi vaste que la capitale elle-même. Il ne serait pas avec nous cette nuit. Mon coeur s'en porterait mieux, le siens beaucoup moins.

-Il faut qu’on le trouve et qu’on le capture. Entre les deux, je n’ai pas la moindre idée de comment y parvenir. Des idées ?

Spoiler:

Il fait noir, noir toujours noir, au plus profond d’un temple bâtis de brique et de terre, de bois et de cendre, il fait encore noir. Darhien est un monstre, un dieu et je suis muette. Enki, je ne suis pas encore prête pour combattre le démon.
Le chemin est tracé, il va droit au cœur du danger. Une ligne lumineuse dans les ténèbres, une lueur qui n’éclaire rien. C’est vide et ça me noue l’estomac.

-On va le pister.

J’étais tellement sûr de moi à l’instant… Même Enki devait avoir la trouille.

Wergeld ou K’ouen comme tout le monde l’appelle. On dirait un garçon, pas un homme, il a grandi trop vite. Je ne peux pas douter de ses exploits, il en a chassé combien déjà ? Juste deux. Rien que deux sur six. Il en croisé deux autres. Les deux loups de Témari. Il se coltine son cinquième animal à attraper. Comme si de rien était.

J’ai aussi un petit doute là. Ça me chagrine de ne pas tout comprendre. Pourquoi Puzz est si petit ? Dans cette famille le plus petit devait faire dans les vingt mètres… Puzz, c’est comme une fourmi dans un bocal avec tout ça autour. L’énigme de l’Univers, la taille de Puzz. Tout ça, c’est pareil. C’est une histoire d’arcturien et ça me noue toujours plus les boyaux.

-Je pense que nous devrions prendre les griffons, j’ai le miens.

J’étais un peu fière de la bête et j’y étais habituée. Si je montais sur un autre oiseau-lion-volant il me ferait la vie dure ce jaloux. Il sait en plus que j’ai facilement peur. Il fera attention pour nous deux.

-Dahrien crache du feu, avec de la chance ça nous aidera à rester en hauteur, non ?

Il fallait être efficace dans une telle situation. J’avais là quatre guerrier et chasseur aguerris, on avait juste assez parlé –pour ceux qui parlent- et je savais que j’étais la seule débutante de l’équipe. Je lance sans respirer pour ma seconde proposition.

Retour sur la question initiale du grand chef de ce très gros pépin.

-J’ai un pouvoir temporaire, je peux transmettre les pensées que je capte d’une personne consentante vers une autre. Mais c’est à cinquante mètres de distance et c’est toutes les cinq secondes maximum.

Ils le voient, je ne sais pas me battre et puis le dragon se fiche bien de la taille de nos biceps. Il fallait être malin et avec Enki, je peux trouver un chemin vers lui. Si ça ce n’est pas faire sa maline, c’est que je ne suis vraiment pas faite pour ce boulot.

-Et j’ai mon pouvoir, je vois les chemins. S’il faut aller vers un lieu spécifique. Je peux en connaitre la piste. Presque utile pour trouver ce Dahrien. Mais c’est pas très précis. En théorie, je peux trouver le dragon et envoyer sa position à l’un de vous, sauf s’il se cache ou s’il utilise de la magie. Je trouve des chemins mais je n’ai rien pour l’empêcher de se dissimuler à mon pouvoir. En plus, ce n’est pas au mètre près. Plutôt à une zone…

Se remettre en mouvement, Karan sentait dans tout son être le tremblement provoqué par des mois d’immobilisme. La chasse aux araignées n’avait rien arrangé. Le prêtre s’était statufié. Il avait vieillit dans sa loge de prêtre… Quand Wergeld l’avait appelé, il n’avait pas hésité. Le soldat ne voulait pas mourir avant l’heure, mourir de vivre trop longtemps et trop seul. Plus, se savoir demandé par Wergeld, il voyait ça comme une fierté personnelle. Être le soldat de confiance d’un chasseur aussi réputé, pour Karan c’était la preuve que sa valeur n’avait pas diminué avec ses mois de paresse récente.

Il rencontra Kilyan et Azura le jour même, on leur autorisa quelques heures pour se préparer. Dahrien ne se montrant que la nuit, comme le contait si bien Témari, ça leur donnait un délai pour réfléchir.
Personne ne savait rien sur le dragon. Wergeld et Ayame était aussi démunis qu’eux.

-Je peux me prémunir de sa magie.

Il appréciait cette jeune femme de bonne volonté. Un soldat déguisé ou bien, il se disait qu’elle était peut-être un genre de soldat sans en être un. Il pouvait sentir la discipline dans son port et son maintien.

-Si Azura peut me montrer la zone où est censé se trouver le dragon, je le verrais… En quelque sorte.

Tout le monde ici remarquait le soldat et ses yeux morts. Karan n’aurait jamais trouvé de quoi leur faire ignorer cet état. Aurait-il dû prendre le temps de les faire soigner ou remplacer ?
C’était trop tôt et trop dur d’abandonner cette pénitence là.

-J’ai aussi acquis un pouvoir temporaire. Associé à mon pouvoir, je verrais Dahrien même au beau milieu de la nuit. Je suis aussi nyctalope que toi Wergeld, sauf que moi. Mon souci reste les distances. Azura devra compenser.

Karan serait la personne consentante dont Azura avait besoin pour utiliser son pouvoir.

-Il peut utiliser la magie qu’il veut pour voyager ou se cacher, je le verrai quoiqu’il advienne.

Kilyan ne décrochait plus les mots de sa mâchoire scellée, l’atmosphère avait changé. Le triton le sentait dans sa consistance, son odeur et son goût. Il était agressé de toutes parts. L’incendie récent et l’accueil de Wergeld. C’était l’enfer comme il l’avait prédit.

— Ok. Mais tous les deux vous devez nous suivre sans être sur notre chemin. On s’occupe de trainer Dahrien dès que vous l’avez repéré.

Kilyan chercha du regard l’approbation de Wergeld. Il ne le disait pas, mais Ayame ne viendrait pas, ça, le chasseur l’avait bien compris. Avant même que Wergeld ne le leur dise dans la journée.
Déjà à quatre, le chasseur les trouvait nombreux.
A quatre pour Dahrien, le monstre de la légende. Atrya le faisait frissonner quand il la racontait, voir ce monstre c’était même pire maintenant. Kilyan vérifia l'expression de Wergeld. En agissant de la sorte, il pouvait froisser la sensibilité fragile du Maitre de Miroir.

— Ils restent au sol et s’envolent en cas de danger. Nous, on le ferre et on l’arrose. T’en dis quoi ?

Pour toutes les créatures que le dragon avait tué pour le plaisir, Kilyan allait le chasser jusqu’au bout du monde. C’est ce que Arcturus avait fait et ce qu’ils feraient maintenant.

Azura était vive d’esprit, Septembre n’avait pas menti. Kilyan aussi aimable qu’une porte de prison, il me donnait envie de lui mettre mon poing sur le coin du nez. Parfait, c’est comme ça que j’aime mes chasseurs. Je ne suis pas là pour me faire des copains. Et Karan, aveugle et sage comme toujours. Il me rappelait Caleb à sa grande époque. Un peu Ayame d’une certaine manière. Un prêtre, deux chasseurs, une danseuse, on va vraiment bien se marrer.

-Si vous êtes au sol, vous aurez besoin de ça. Embarquez là à chaque déplacement, posez là au sol dès que vous avez besoin de protection.

Je donnais à Azura la boussole au bouclier. Elle supporterait juste assez longtemps le poids d’un arcturien pour leur donner une chance de s’échapper.

-Vous nous suivez et vous restez discrets et à moins de 50 mètres, clair ?

J’enfourchais mon griffe. J’allais suivre Kilyan. Pour une fois, je ne commanderais pas. Il s’était placé en meneur pour les deux autres, je me rangerais à leur avis.
Encore que s’il nous met en danger, je pourrais le bousculer un peu, plus tard.

-Kilyan, ouvre le bal.

Mon griffe s’envole, le son feutré de la nuit sur ses ailes et le triste éclat des étoiles. C’est une belle nuit pour mourir.

Comment ça compenser les distances ? Personne ne trouve ça étrange que ce soit l'aveugle du groupe qui prend la responsabilité de repérer le dragon ? Si personne n'avait d'objection à ce sujet... Karan devait avoir ses petits secrets. Un aveugle qui voit, dans l'Entre-Monde tout est normal...

Trouver Dahrien, c'est trouver un chemin jusqu'au dragon, où qu'il se trouve en ce moment. Sur mon griffon, un peu crispée car c'est la première fois que je monte pendant une chasse, et pas une petite, je m'accroche à ma selle et tout ce que je trouve à dire c'est de lui murmurer de ne pas me laisser tomber.
A sa place, j'enverrais ma cavalière dans le décor... Mon griffon avait gagné pour maitresse une chasseuse débutante s'en allant chasser un arcturien. Pas n'importe lequel, non non.
Je m'excusais, sans savoir pourquoi je le faisais car si nous mourrons, les excuses n'auront pas beaucoup d'intérêts.

Je me concentrais, les genoux serrés contre les flancs du griffon. Enki avait la trouille, il clignotait. Une luciole en parade à travers les arbres et la pluie de cendres.
Un chemin, interminable dans les ténèbres.

-Direction Nord-est.

J'allais chercher dans l'esprit de Karan une confirmation avant d'envoyer cette pensée vers Kilyan.

Azura annonçait la direction mais Karan ne voyait rien susceptible d'être un dragon. Pas de flamme, pas de dragon. Ils avancèrent sans bruit au son du vent contre ses oreilles. Ils volaient en formation serrée. Naturellement, le prêtre se plaça au flanc droit d'Azura.
Il y avait pensé en décollant, elle était sa partenaire cette nuit. Ils vont devoir prendre soin l'un de l'autre.

Il perçut du mouvements dans les ténèbres, les griffons en vol stationnèrent lui donnèrent le temps de confirmer qu'il s'était trompé. Des oiseaux en grand nombre quittaient la forêt droit devant eux, à quelques kilomètres de distance.

-Quelque chose fait fuir ces oiseaux...

Ils dirigea le groupe vers cette direction.