Chasse à la Horde

Ce qui fait le charme de Kumana, et bien, je n’en sais rien. Des habitations troglodyte, style antique, l’air hautain en moins. Ici, on avait vécu sur l’argent des mines pendant des décennies, même avant les miroirs, c’était déjà quelque chose. Maintenant, on progressait tranquillement et on se planquait dans la montagne quand les erranurs faisaient des siennes. Justement, c’était le cas.
Apparus au milieu de la place principale, on aurait attiré l’attention s’il n’y avait pas déjà des dizaines de miliciens dans les rues. On nous salua.

Cette fois l’oreillette de mon baladeur grésilla. J’acceptais l’appel d’Ayame et juste après je donnais la seconde oreillette à Kilyan.

-Ayame, on t’écoute. Je suis avec Kilyan.

« Bien ! Fit l’elfe, trop satisfait pour être honnête. Je préviendrais Atrya. Wu, les erranurs ne sont pas très loin de Kumana. Va à la caserne des miliciens, j’ai fait envoyer une mise à jour pour ta carte holographique. »

Je lançais un regard étonné à Kilyan. Il était déjà ami avec l’elfe ? C’est fou, cet elfe adopte tout le monde et il refuse encore et toujours que j’adopte un Daken. Ils sont adorables pourtant. Vraiment, je ne comprends pas.

-On vient juste d’arriver à Kumana. Tu peux nous faire un topo sur les dernières attaques ?

L’elfe nous laissa patienter quelques secondes, il vérifiait ses données. J’appréciais qu’il soit si doué avec la technologie, même si c’était un peu vexant, l’instant était pourtant mal choisi pour me demander de patienter. J’allais raccrocher et le laisser chercher quand il nous reprit en ligne.

« Ils attaquent plutôt en fin de journée. »

-Les Erranurs aiment les hautes altitudes, j’imagine que le climat de Kumana ne les aide pas à chasser de journée.

Un milicien vint de lui-même apporter la mise à jour pour ma carte. Le temps qu’on téléphone et toute la ville était au courant de notre présence. Cet endroit allait me rendre paranoïaque. Ma carte ayant reçu les données, j’affichais pour Kilyan notre première destination.

-Aya, niveau sécurité…

« Ne déclenche pas une avalanche, d’accord ? »

Je me renfrognais. Il savait bien que nous étions trop bas pour qu’un tel risque se présente, surtout avec cette chaleur. Je raccrochais rageusement, vérifiant si Kilyan avait des questions.

L’équipement était impressionnant ; il laissait Wergeld se préparer à la chasse. Ayame avait les informations et les miliciens avaient déjà reçus ce qu’il manquait aux chasseurs. Avec leur aide pour dénicher rapidement le premier groupe à abattre la mission devenait facile. Kilyan se demandait combien de personnes organisaient les déplacements de K’ouen, et même s’il pouvait aussi faire appel à eux lorsqu’il allait chasser.
Il aurait besoin d’une carte, de haute technologie et hors de prix, d’un capitaine des milices de K’ouen pouvant aussi être assistant à ses heures perdues.
Kilyan en conclu qu’il aurait besoin d’être K’ouen pour bénéficier d’un tel soutien logistique. Il avait bêtement pensé que les deux chasseurs allaient pister les erranurs et les tuer un par un. Wergeld avait une idée encore plus précise de comment ‘nettoyer’ une horde.

Les déductions des deux hommes allaient plus vite qu’il ne pouvait les suivre. Les erranurs aimaient l’altitude, c’est vrai, c’était précisé dans la mission. Dès qu’ils savaient ça, les deux hommes avaient conclu que ces animaux n’aimaient pas beaucoup chasser si bas. Ils aimaient le froid, là où l’oxygène est plus rare. En quelques minutes, le plan se dessinait et rien n’était laissé au hasard. La journée était à son midi, les erranurs seraient faciles à cueillir. Les repérages de ses confrères positionnaient les erranurs en plusieurs endroits sur la montagne.
Kilyan n’avait qu’une seule chose à faire, suivre. Il admirait l'expérience de Wergeld, il partait de rien et créait un plan sans effort. il sentait l'habitude dans chacun des mots.

Ils quittaient Kumana sans s’y perdre car la ville n’était pas très grande. Kilyan prépara son arme, offerte par Atrya. Il savait pouvoir compter sur elle au corps à corps. Une fléchette paralysante dans sa sarbacane, il la fixa à son poignet grâce au titre lin. De cette façon, il pourrait l’avoir rapidement pour paralyser même un adversaire imprévu.

– Va-t-on croiser autre chose que les erranurs ?

Je remarquais le désarroi de Kilyan. Je me serai bien excusé d’être habitué à ce genre de mission, mais non. J’avais l’équipement et un Miroir tout entier payé pour me faciliter la vie. En vrai, l’elfe savait bien que plus vite je revenais de mission, plus tôt je me remettrais derrière mon bureau. C’était d’autant plus vrai que les missions convenablement soutenues diminuaient le risque que je revienne sur un brancard. Tout le monde était gagnant.
Si on faisait le compte, et je ne le fais que lorsque j’ai envie de me vanter, ce devait bien être ma vingtième session de nettoyage…

-On a dit qu’on serait de retour pour le dîner, non ?

On retrouvait bien vite le soleil cuisant du désert. Les montagnes de la chaine à cet endroit du monde étaient peintes en rouge et en ocre. Le pic d’arcturus n’était pas bien loin, il suffisait, pour le trouver, de longer les montagnes vers leur port ouest. A l’orée d’hourva, encore enflammée par le soleil du désert, se trouvait un volcan presque endormi.

-Sarkina.

La magnétic ne brillait pas. Ce modèle en noir mat était discrèt en diable, sauf au milieu du désert en pleine journée… Au moins, ses roues ne faisaient pas beaucoup de bruit. Seul le frottement et l’énergie s’en dégageant étaient audibles. Bizarre pour la faune locale mais très peu menaçant, nous nous ferons discrets au moins à l’ouïe.

-Si nous sommes malchanceux nous croiserons la route de Wyvern dorées. Mais… Les erranurs sont de bons prédateurs, la concurrence aurait déjà donné vainqueur les wyvern en cas de confrontation sur ce territoire. Je pense que nous sommes saufs pour cette fois. Par contre…

Je me hissais en chauffeur sur la moto, laissant à Kilyan la deuxième place, celle que d’ordinaire je cède à Ayame.

-Les erranurs sont un problème car il attaque Kumana. Mais si on les élimine tous, on a un risque que les Wyvern dorées viennent prendre le relais. Heureusement, les commissaires établis en ville pourront nous alerter avant qu’un clan trop important ne se forme ici.

La moto pris rapidement de l’altitude et sa capacité à flotter à distance du sol rendait l’ascension bien plus agréable. Elle serait aussi plus rapide, même si nous avions quand même une bonne demi-heure d’escalade avant d’approcher du premier nid.

C’est vrai que Kilyan n’était pas bavard. Il n’aimait pas parler tout le temps. Atrya le faisait pour lui. Sous l’eau, c’était un peu différent, en l’absence d’air la communication se fait par d’autres moyens. Là encore Atrya faisaient toujours bonne figure. Kilyan était avec Atrya, ça suffisait bien comme ça. Le triton n’arrivait pas à se défaire du poisson-ange. Mais maintenant ils étaient tous les deux à la surface, à cause d'une personne.
Il voyait Wergeld et il voyait la cause de la dernière lubie d’Atrya. Cause et conséquence.
Pour lui, vivre à la surface était une torture. Chaque jour s’habiller, chaque jour sentir le poids de l’air et du vide immense. La lumière toujours plus forte. Le bruit sans cesse renouvelé, ceux qui parlent, ceux qui crient, les oiseaux, les sonneries, les alarmes et au milieu de tout ça il y avait Atrya.
Il regardait le chasseur, il regardait la montagne et il pensait encore à Atrya toujours convaincu de sa mission sur terre. Il ne tint plus et sa langue se délia.

– Wergeld, explique-moi pourquoi tu as embauché Atrya comme guérisseur si tu ne l’aimes pas.

Tout le temps du monde pour une discussion. Kilyan était expert dans un domaine. Ce n’était pas la chasse pour laquelle il était le plus doué. Il savait très bien chassé, là n’est pas la question. La nature lui avait donné un don dès sa naissance. De choisir les pires moments pour retrouver le sens de la parole… Pour ça, pas besoin d’entrainement. Kilyan savait le faire d’instinct.

J’en aurais freiné tellement la question me parue incongrue. Kilyan n’était pas loquace, et c’était tant mieux. Ça me change de l’elfe et de son bavardage incessant. Il n’était pas non plus très souriant. Je devrais peut-être arrêter de les comparer tous les deux. Ayame est tellement plus lumineux… Je n’ai pas freiné, j’ai rigolé, un peu et j’ai repris mon sérieux.

-J’aime bien Atrya. Je ne dis pas que ça a toujours été le cas. Mais maintenant… Je ne le logerais pas chez moi dans un bassin rien que pour lui si je ne pouvais pas le sentir.

Même si tout le monde pense le contraire, Atrya appartient, malheureusement, à la grande famille d’Ayame. Cet elfe devait avoir un genre de toc compulsif. Moi c’est le complexe du héros, lui il adopte tout. Comme une petite vieille sauverait tous les chats errants de la planète.
Oui, là, je trouve la comparaison plus adaptée à l’elfe. Une petite-vieille. S’il m’entendait, il me tuerait.
Je suis le premier à m’en plaindre mais aussi l’un des plus grands chanceux d’appartenir à cette drôle de famille. Si Ayame n’avait pas été là, je n’aurais pas duré cinq minutes sur le siège de K’ouen. S’il n’avait pas été là, Fafnir m’aurait emporté avec lui dans la chute. Je n’aurais jamais su comment assumer la mort de mon dernier parent. Peut-être même que je n’aurais pas été capable de voir en Xénon la personne qu’il me fallait pour être heureux. Bref, l’elfe avait été le tournant indispensable de toute une vie bigarrée et bancale.

-Pour info, c’est Ayame qui l’a embauché et il ne m’a pas demandé mon avis.

En réalité, il me l’a demandé et comme d’habitude je lui ai voué une confiance aveugle car il avait seulement dit « guérisseur à demeure ».

-J’ai encore un peu de mal avec ses techniques de soin, je crois que je n’arriverais jamais à me faire à l’idée de me faire lécher une plaie.

Il n’en croyait pas ses oreilles. Il aurait aimé l’entendre dire qu’il détestait Atrya. Kilyan cherchait une bonne raison de repartir dans l’océan avec Atrya sous le bras de gré ou de force. Wergeld n’avait pas réagi comme il l’espérait c’était même pire que tout ce qu’il avait imaginé… Le triton en silence réfléchissait. Calmé et incrédule, il comprit que Wergeld n’était pas le terrible personnage qu’il avait espéré. Atrya n’était pas l’infirmier pestiféré de la demeure du Maitre de K’ouen… Ce qui n’arrangeait pas ses affaires. Il était devenu quelque chose s’approchant d’un petit frère.

– J’étais certain que tu le détestais. Tu passes tellement de temps à l’éviter…

Kilyan continuait de parler et les mots venaient tous seuls pour la seconde fois de son existence. La première fois, il avait avoué comme dans une tempête son amour non partagé. Aujourd’hui, c’était la seconde fois. Atrya avait un effet ravageur sur lui. Kilyan et le silence étaient moins amis quand il pensait à lui.

– Je me demandais comment le ramener dans l’océan... Il est têtu et je sentais qu’il restait par devoir…

Kilyan se faisait une image précise de cette raison. Comme il est aussi têtu que toute sirène qui se respecte, il allait s’en convaincre. Cette raison devait être testée avant tout, même s’il était proche de la vérité, Kilyan ne comprenait pas toujours comment fonctionnent les autres.
Ça pourrait être pire. Le poisson-ange était peu clair dans ses réponses, il se pourrait même que Kilyan découvre autre chose. Mais cette explication remettait les choses à plat dans son esprit.

Il copiait Wergeld sans le remarquer, Kilyan ne pensait pas s’excuser pour ces questions. Il croisait trop peu souvent Wergeld, c’était le moment idéal pour les poser. Idéal dans la vie de deux chasseurs. A cela s’ajoute la montagne envahie. Kilyan sait vraiment bien choisir ses moments.

-Content que tu sois rassuré. J’ai une question aussi. Pourquoi tiens-tu tant à le ramener dans l’océan ?

On avait retrouvé le poisson gisant dans son propre sang. Il aurait presque rendu l’âme si le sanctuaire ne l’avait pas sauvé. Ayame se souvenait très bien de cette sirène rencontrée dans les mers chaudes du sud. Il n’avait pas oublié que le poisson avait détecté ma peine en une fraction de seconde, Atrya s’était même élancé pour me soigner.
Mais me soigner de quelque chose qu’il ne connaissait pas.
Plus tard, j’ai appris que ce triton avait quitté l’océan spécialement pour retrouver. Je ne sais pas si c’est par reconnaissance ou compassion que l’elfe l’a pris sous son aile. Autant dire que maintenant que je connais le phénomène, ce n’est pas plus mal qu’il soit avec nous. A K’ouen, personne ne viendra le blesser à nouveau.

Sauf Ayame, car l’elfe a de plus en plus envie d’étrangler le guérisseur maintenant que ce dernier se porte volontaire dès que possible pour toute les missions dangereuses qu’il croise. Pauvre elfe, entre Lys, moi et Atrya, il va vraiment finir par avoir des problèmes de cœur…

-Jusqu’à preuve du contraire, Atrya a l’air heureux d’être à K’ouen. Alors, tu m’excuseras de te poser cette question comme ça : mais t’es qui pour décider qu’il doit aller vivre ailleurs ?

Tout en lui parlant, je guidais la moto sur les sentiers de montagne. Bientôt nous n’aurons plus le plaisir de voyager en terrain quasi-plat. L’escalade se fera toujours à moto mais ce sera moins facile de parler.