Promenade de santé dans la montagne

Xénon n'avait rien vu du tout, mais il n'avait pas besoin d'un dessin. Il regrettait amèrement à présent de ne pas s'être fait installer de meilleures caméras de nuit, peut-être même des infrarouges. S'il devait continuer dans sa carrière actuelle, la technologie serait de toute évidence inestimable.

Évidemment, elle coûtait aussi bien plus cher que ce que ses finances actuelles pouvaient lui permettre.

"Je suis désolé d'être un poids mort," dit-il en accélérant, caméras rivées sur le chemin devant ses pneus de peur de basculer sur un dos d'âne imprévu. "Je donnerais beaucoup pour une paire de pouces opposables, là tout de suite."

La perspective qu'ils soient attaqués et que Wergeld doive se défendre seul ne l'emplissait pas de joie. Ses capteurs détectaient toujours le pistolet reposant dans son compartiment de rangement, menaçant mais complètement inutile.

"Je fais un piètre chasseur. Mais je peux toujours me consoler : je suis mille fois meilleur que les erreurs de la nature avec qui je travaillais il y a encore quelques heures. S'ils se sont faits dévorer, je n'en concevrai pas beaucoup de chagrin. La seule qui va me manquer, c'est la prime de mission. Je peux faire une croix dessus."

Il osa lever une caméra pour examiner les alentours, à la recherche de la créature que Wergeld avait aperçue plus tôt.

"C'est dommage, j'ai besoin de me racheter une ép... Attention !!"

Wergeld haussa les épaules. Il le faisait en toute occasion et en toute circonstance ; Xénon s’excusait, il haussait les épaules car « ce n’est rien », des lions viennent de se faire un festin de son déjeuner, il haussait aussi les épaules car « au moins il était en sécurité ». Mais surtout, il haussait les épaules à présent car, de toute manière, « la prime pourra toujours être gagnée autrement ». Enfin… Depuis le temps qu’il chassait, il trouverait sûrement une façon alternative d’obtenir cette prime malgré la présence des lions dans les parages. Mais cela inclurait, avec Wergeld, le fait de mettre sa vie en péril. Il haussa encore une fois les épaules, cette fois pour la forme…

Tapis derrière un rocher, c’était une lionne au pelage crème sur la roche laiteuse du clair de lune. Elle était invisible et son mouvement soudain fut marqué par l’écho d’une alerte. Xénon lui avait probablement sauvé la vie. Wergeld bondit en avant et sa roulade sur le chemin pentu l’emporta plusieurs mètres au-delà de son point de chute.

La femelle affamée n’en avait pas vu suffisamment pour se laisser décourager. Elle se réceptionna sur ses pattes rapatriées les unes contre les autres. Son corps souple se contorsionna et ses griffes puissantes arrachèrent des touffes de végétations et de gravats au sol. Elle se propulsa à nouveau griffes et crocs de sortie.

Le jeune chasseur avait dégainé son épée, elle brillait étrangement dans la pénombre. Il la ramena contre sa poitrine présentant ainsi le plat de la lame qui allait d’une épaule à l’autre comme un pendentif grotesque.
Un pas en avant, la lionne était sur lui. Il la réceptionna une patte sur l’épée et l’autre lui entailla la joue jusqu'à l’oreille. Son arme ripa contre le poitrail de la bête et dans son élan Wergeld y impulsa un violent coup d’épaule. Lui et son épée poussèrent sur la lionne qui fut freinée, stoppée et renvoyée cinq mètres plus loin.

C'est qu'il aurait des remords de tuer un lion, après tout, ils sont sur son territoire... Le chasser ne rimait à rien.

Xénon avait déployé sa béquille, n'osant plus se déplacer de peur de gêner Wergeld. Le jeune homme avait d'excellents réflexes et savait de toute évidence se défendre, malgré la taille inhabituelle de son arme. Mais la lionne ne se laissait pas faire, et Xénon ne connaissait rien de plus désagréable que l'impuissance. Assister à cette scène sans pouvoir intervenir réveillait en lui de vieux échos d'embruns marins. Il pouvait presque sentir la roche rugueuse de la falaise sous ses doigts, la chaleur d'un corps organique pressé contre le sien.

Une tache sombre apparut sur la joue de Wergeld. Dans la pénombre, il fallut un peu trop longtemps à Xénon pour reconnaître du sang. Wergeld était blessé !

Sa tension monta encore d'un cran. Il fit désespérément l'inventaire de tout ce qu'il pouvait offrir à la situation. Allumer ses phares à plein volume avait une grande probabilité de faire fuir la lionne, mais s'il échouait, il éblouirait Wergeld et le rendrait vulnérable à toute attaque. Foncer sur elle pouvait très mal se terminer, avec 83% de chance qu'il bascule et le risque de gêner Wergeld. Simplement faire rugir son moteur ? Les lions des montagnes étaient peu habitués aux véhicules motorisés et ne les reconnaissaient pas instinctivement comme une menace. Il ne réussirait qu'à la distraire un instant.

Qu'est-ce qu'un lion des montagnes reconnaîtrait comme une menace ?

Saisi par l'inspiration, Xénon parcourut son encyclopédie intégrée et sélectionna un fichier audio. Il poussa le volume de ses haut-parleurs à fond. En jaillit le cri strident d'une wyvern en chasse. La lionne fit un bond et décampa sans demander son reste.

"JE NE SAIS PAS POURQUOI JE N'AI PAS PENSE A CA PLUS TÔT," dit Xénon, fier de lui.

Sa voix résonna dans toute la montagne. Penaud, il revint bien vite à son volume de départ.

"Oups, pardon. Je crois qu'on est tranquilles pour un moment... Comment va ta joue ?"

Son cœur battait à tout rompre, ses yeux scrutaient le ciel en quête d'un signe, d'un mouvement... Une Wyvern c'était comme dans un cauchemar. Un lion passait encore, mais un reptile volant était une tout autre affaire. Il était fait comme un rat, sur un espace à découvert, dans une région difficile et surtout coincé entre un lion affamé et une wyvern les ayant repérés. Que n'aurait-il pas donné pour être une moto en ce moment même !

Wergeld ne se rassura que lorsqu'il put faire le lien entre le hurlement strident et les haut-parleurs de Xénon. Son cœur, lui, mit plus de temps à se remettre de cette mésaventure.

- Ça pique, fit-il machinalement.

Il s'y reprit à deux fois, mais finit par remercier Xénon pour son intervention.

C'est qu'il se fichait un peu de l'état de son visage, il avait faim, il était fatigué et surtout il venait de vivre une expérience effrayante. Tout chasseur de monstre qu'il était, il n'était pas équipé pour chasser le monstre volant, encore moins aujourd'hui.

Wergeld finit par reprendre ses esprits après une minute ou deux à respirer profondément et à vérifier que son corps n'avait pas subi plus de dommage qu'une griffure superficielle. Il rit aussi, ça lui vint naturellement avec la fin des tremblements de ses jambes.

- C'était un peu trop pour moi le coup de la wyvern, si t'as d'autres trucs de ce genre en stock, je veux bien que tu m'en parles à l'avance.

La nuit noire déployée sous leurs yeux n'avait pas avancé plus que ça aussi se remit il en marche, dès qu'il eut réussi à remettre son épée en place sur son dos. Un mouchoir sur la joue pour arrêter le saignement.

- On va se dépêcher de trouver un lieu civilisé, j'ai rien pour désinfecter ça.

Il reprit la marche aussitôt et invita son compagnon à avancer à son tour. Le dénivelé s'accentuait, mais ils atteindraient bientôt une zone à couvert avec plus de végétations et moins de chance d'y croiser un lion en vadrouille. Cette idée le revigora et aussi, car il espérait pouvoir dormir quelques heures il accéléra le pas.

Ne tenant pas à ce silence, d'ordinaire tout à fait supportable :

- Je me demande encore comment t'as fait pour te retrouver les roues en l'air. Ils étaient si mauvais que ça tes compagnons ?

Une idée lui revint.

- C'était quoi la mission pour laquelle tu es venue ici ?

Xénon ne cessa de s'inquiéter qu'au son du rire de Wergeld. A le voir se remettre du choc, il avait commencé à se demander s'il n'aurait pas mieux fait de ne pas intervenir.

"C'était l'inspiration du moment, j'en ai peur," dit-il, pince-sans-rire. "Je peux diffuser le chant de soixante espèces d'oiseaux différents, si tu veux. C'est sans doute plus doux à l'oreille."

Ils se remirent en route, Xénon naviguant le terrain avec toujours autant de grâce. Malgré le répit qu'ils venaient de gagner, il n'osait pas allumer ses phares. Wergeld avait assez d'une coupure à soigner. La pente était maintenant assez prononcée pour qu'il doive utiliser ses freins afin de ne pas distancer son compagnon.

"Si on te dit: 'il y a une mine abandonnée dans le coin ; on aimerait savoir s'il y a encore des filons exploitables à l'intérieur, mais on préfère envoyer plusieurs chasseurs puisque c'est maintenant le terrain de chasse de lions des montagnes'. Quelle est ta réaction : tu te faufiles discrètement jusqu'à la mine, tu fais le boulot vite fait et tu t'éclipses ; ou une fois à l'intérieur, tu repères un filon prometteur et tu te dis que tu préfèrerais l'exploiter toi-même plutôt que de toucher la prime ?"

Il contourna un rocher et dévala un raidillon, s'arrêtant à sa base pour attendre Wergeld. Il fit jouer ses amortisseurs avec un sifflement pneumatique.

"Si encore ces génies ne s'étaient pas imaginés que ce serait plus rapide à l'explosif," conclut-il en reprenant sa route.

Il ne restait pas grand-chose de la mine, évidemment. Mais dans un souci de véracité, il ajouta :

"Ma chute, par contre, était plutôt due à ma rencontre avec une vache."

Il ralluma la faible lueur de son feu de position avant, arrachant à l'obscurité la végétation qui commençait à se densifier autour d'eux.

"Je vais devoir te demander de m'ouvrir le chemin."

Spoiler:

Pourquoi parlait-il d'oiseaux tout à coup se dit Wergeld. Après un court instant de silence, il sut qu'il n'avait pas de réponse à donner. Le chemin défilait et le chasseur encore un peu amer de s'être fait prendre par surprise était bien heureux de ne pas avoir à parler tout de suite.

Ponctuant le discours de son compagnon de quelques sourires entendus et d'un "Ah ! Oui." placé ça et là, il comprit rapidement que l'aventurier avec lui avait joué de malchance lors de sa mission. C'était monnaie courante, beaucoup trop de citadins sous-entrainés ou pire, handicapés du bon sens, venaient tenter la chance dans des coins reculés comme celui-là. S'il pouvait leur donner un conseil : juger la difficulté de la mission selon la distance qui la sépare du premier village civilisé.L'éloignement étant une difficulté en soi : pas de lumière, pas de promeneurs ou de paysans, pas de balise de secours à porter...

Les montagnes, c'est sûrement l'un des pires endroits pour une mission. Assez peu de villes et villages s'y trouvent.

- Va savoir si cette vache était un coup du sort ou de la chance. Sans ça, on ne se serait jamais croisés.

Une vache dans ce coin là ? Sauvage peut-être.
Son ventre grogna assez fort pour le faire rougir. Il n'avait rien avalé depuis la veille au soir.

- Dans ce cas suis-moi, nous ne sommes plus très loin de la forêt on va s'arrêter quelques heures. De nuit et en sous-bois ce serait inutile de continuer.

Wergeld passa devant et utilisa son épée pour tailler les branches gênantes. Ce n'était pas dans ses habitudes de se faire un passage dans la végétation, mais sans cela, la moto serait continuellement empêchée d'avancer. Sans cela, ils seraient tous deux incapable de voir assez loin et de s'éviter, aussi, de mauvaises rencontre.

Ils n'avancèrent pas bien loin. Dès qu'ils furent sous les arbres leur environnement se para d'un voile sombre. Il n'y avait plus d'étoiles ou de lune pour les aider à naviguer dans la broussaille. En fin de compte, le jeune chasseur chercha un abri. Les reste d'un ebouli creusé par des racines centenaires était providentiel. Le chêne tordu et les rochers formaient une cave, courte, mais sèche et révélaient un espace assez douillet pour un chasseur bourru et une moto qui parle.

- Je vais chercher du bois pour le feu. Et de quoi manger. Tu peux tenter de préparer l'espace du feu.


Mal à l'aise à l'idée de laisser Xénon seul il s'arrêta et ne sut quoi dire, aussi s'en allait-il sans un mot de plus. A quoi pourrait bien lui être utile une moto pour trouver un nid mal protégé et du bois ?

Il revint sans une égratignure, un bras chargé de branches et dans sa main libre quelques oeufs. Une poule sauvage sursautait au rythme de ses pas accrochée à sa ceinture par les pattes. La lune avait déjà parcouru plus de la moitié de son chemin nocturne.

Spoiler:

Un coup de chance, leur rencontre ? Xénon se trouva pris de court par la remarque. Ils se connaissaient à peine, et bien que jusqu'ici il apprécie la compagnie du jeune chasseur, seul le temps dirait s'il pouvait s'en faire un véritable ami. Mais que Wergeld considère cela comme un point fort de leur situation somme toute assez inconfortable le flatta. Peut-être voyait-il déjà une compatibilité de caractère qui échappait encore à Xénon.

Il suivit docilement son compagnon, approuvant l'idée d'une pause. La nuit rendait tout plus compliqué, et sous le couvert des arbres c'était encore pire. Même avec son feu allumé, il se fiait plus aux foulées de Wergeld qu'au peu que ses capteurs lui dévoilaient de la qualité du terrain. Cette hyper-observation exigeait de lui une consommation d'énergie de 20% supplémentaire à la normale. C'était un vrai problème quand la plus proche prise électrique se trouvait à des kilomètres de là.

Il fut soulagé de s'arrêter. Pourtant, il se trouva bien bête quand Wergeld fit sa suggestion.

"Euh... D'accord."

Il y eut un instant de malaise comme Wergeld hésitait visiblement et que Xénon ne savait plus quoi dire. Puis le jeune homme s'éloigna.

Xénon tourna son attention vers leur abri de fortune. Timidement, il essaya de rouler d'avant en arrière pour dégager un espace plat. La terre s'aplatit bien, mais les cailloux ne firent que se disperser sur la surface et les feuilles mortes s'accrochèrent à ses pneus. Il abandonna avec un soupir électronique.

Vivement les réparations. Il se sentait de plus en plus inutile. Or les robots, par définition des êtres créés dans un but précis, supportaient mal de se sentir inutiles. C'était une quasi constante chez les citoyens de Ken.

Lorsque Wergeld revint, il s'était positionné devant la cave de façon à faire écran de son corps lorsque le chasseur s'y réfugierait. Il n'avait pas besoin de protection contre les éléments, et se déplacer de quelques mètres à la fois étant une manœuvre compliquée, il avait décidé de ne plus bouger avant le jour. Il fut rassuré de voir la récolte de Wergeld. Sa faim manifeste l'avait un peu préoccupé.

"Tu fais feu de tout bois. Je fais un bien piètre chasseur face à toi. Évidemment, même avec ton expérience et des pouces opposables, j'aurais du mal à trouver de quoi me nourrir en forêt."

Il se tut un instant, puis finit par ajouter, puisqu'il allait bien falloir aborder le sujet :

"Je me mettrai en veille pendant que tu dormiras. J'aimerais monter la garde mais je vais devoir rationner l'énergie qu'il me reste."

Les mots étaient pragmatiques, mais la voix avait un ton d'excuse.

En revenant chargé, Wergeld ne put réprimer une sourire, il se doutait bien que la moto aurait du mal à venir à bout d’un sol rocailleux en pleine nuit. Pendant tout le temps de sa petite chasse aux oeufs -élu meilleur chasseur de pâques dans Ing de tous les temps- Xénon l’avait attendu là. Il lui faisait confiance et c’était un sentiment qu’il aimait.
Il s’approcha pesamment, ses bottes martelaient assez le sol pour faire fuir les vipères qui auraient élu domicile proche de leur abri. Pour l’avoir déjà vécu, il espérait ne plus jamais se réveiller avec un serpent sur le ventre. Encore moins venimeux.

Quelques minutes plus tard, un feu ronflait devant lui, il ne craignait pas d’en allumer un, la lumière aurait fait fuir la plupart des prédateurs, quant à ceux qu’elle n’effraie pas, le couvert de la forêt suffirait à leur éviter de mauvaises surprises.
Avec les flammes jetant des ombres terrifiantes sur les rochers enchevêtrés de racines, Wergeld ressenti pour la première fois la fatigue de cette longue journée.

-Ces lions m’ont surpris à mon campement quelques kilomètres plus vers le Nord. J’avais attrapé une chèvre sauvage ce matin. Quel dommage…

Il souriait en parlant car à présent il trouvait la situation très drôle.

-Je me lavais dans la rivière quand ils m’ont trouvé. J’ai passé toute la journée dans un arbre sans mes vêtements pendant qu’ils profitaient du confort de mon campement et de mes provisions.

Le recul aidant, il espéra ne pas tomber malade. Il serait cloué au sanctuaire plusieurs jours et ce n’était pas dans ses plans de rester en ville. Il balaya cette mauvaise pensée d’un léger rire. Pour lui, ces mésaventures étaient presques normales. Des lions, finir nu dans arbre et il pourrait rencontrer des moto aventurières coincées en montagne tous les jours…
Enfin. C’était presque normal.

-Je ne suis pas un si bon chasseur que tu le crois, j'ai juste été mis en appétit.

Toujours de meilleur humeur lorsque l'heure du repas sonnait, Wergeld était concentré mais plutôt à l'aise. Le feu ronflant réveillait les parties de son corps que le froid de la montagne avait anesthésiées. Il se sentait bien mieux à présent. Un hibou couche-tard salua leur campement de son hulullement significatif.

Expert en la matière, il pluma et vida sa poule avec l’habileté que confère l’habitude. Les oeufs plongés dans l’eau et sa gamelle cabossée au bord du feu furent rapidement bien assez cuits à son goût.

-J’espère que tu m’excuseras de manger devant toi si jamais tu ressens la faim comme moi, sers toi. Il en a bien assez pour deux.

Le seul autre robot qui puisse manger réellement et qu’il connaissait n’aurait pas rechigné à l’invitation. Sauf que ce robot là était un peu particulier.

Le récit provoqua un rire sincère chez Xénon. Il ne craignait pas d'offenser Wergeld, ce dernier l'invitant clairement à partager la plaisanterie. Il fallait dire que l'histoire était cocasse.

"Décidément, ces lions nous auront causé bien du souci."

Et voilà qui expliquait sans doute que Wergeld ne quittait pas la montagne uniquement pour la beauté de ses roues. L'idée qu'il ne l'oblige pas égoïstement à faire un détour le rassura.

"Oh !" fit-il, agréablement étonné par l'offre. "Merci, mais non. J'ai bien peur que mon régime me l'interdise."

Il ne connaissait pas beaucoup de machines capables d'absorber les matières organiques, et encore moins de non-Kens qui pensent à cette possibilité. Tous les chasseurs avec lesquels il s'était allié jusque-là étaient partis du principe qu'il se rechargeait à l'électricité, même lorsqu'il se présentait à eux sous sa forme humaine. Que Wergeld propose le fruit de sa chasse à une moto parlante était... surprenant.

Il aurait voulu s'asseoir près du feu avec lui, d'égal à égal. Mais peut-être cela ne faisait-il pas une si grande différence, finalement.

"Que penses-tu faire une fois en ville ?"

Wergeld mangeait, le refus poli de Xénon suffit à l’autoriser à utiliser sa fourchette directement dans la casserole, quant à la poule, il s’assura de la faire griller suffisamment loin des flammes pour qu’elle cuise sans flamber. L’oiseau avait la peau sur les os et ne présentait déjà pas grand chose à manger, il n’allait pas en prime en perdre dans le feu.
Le jeune chasseur avait un appétit féroce, bonne convive en toute circonstance et ne se laissait jamais démonter lorsqu’il s’agissait de se remplir la panse… Il ne s’excusa pas de manger rapidement bien que ses manières soient propres et basiques.

- Je ne pense pas rester en ville.

Les oeufs avaient déjà disparus quand il se décida à parler.

- Ces lions qui se déplacent si loin sur le plateau c’est inquiétant, je vais peut-être trouver quelques chasseurs pour m’aider à les repousser en montagnes.

La poule crépitait au dessus du feu et Wergeld ne l'avouera jamais mais il appréciait de ne pas passer une soirée seul, pour une fois. Le fait de parler ne lui était pas parfaitement naturel bien que depuis quelques heures maintenant il s’était plutôt bien échauffé.
Avec le repas et le feu ronflant devant eux, il commençait à ressentir la fatigue de cette journée extraordinaire. Ses muscles grinçaient de mécontentement au moindre mouvement et ses os refusaient obstinément de l’aider à s’installer plus confortablement.

- Mais, dit-il avec un sourire, je vais sûrement avoir besoin d’un peu de repos avant ça. Après que je me sois assuré que tu arrives à bon port.

Wergeld n’ayant pas trop conscience du niveau d’énergie de Xénon et de ce que cela signifiait pour la moto, il préférait faire un détour pour vérifier que l’aventurier se trouve un réparateur compétent.

- On trouvera sûrement quelqu’un du sanctuaire pour te téléporter à Cerclon… Enfin, on verra, dit-il.

Il récupéra sa grillade à cet instant et mordit dedans généreusement. Il n’y a pas beaucoup de moyens pour la dévorer proprement aussi ne se sentait-il pas trop mal élevé.