Table n°6

Uriel fut déçu de constater que son prochain partenaire était un homme. Sa conversation avec Eva avait été cordiale, mais complètement platonique, ce qui le vexait quelque peu. En vain avait-il espéré qu'elle lui témoigne plus d'intérêt que lorsqu'il la croisait à la bibliothèque. Et voilà que la seconde table ne s'annonçait guère mieux.

Du moins, c'est ce qu'il pensait avant d'observer le manège de la femme-serpent qui s'en éloignait avec une réticence manifeste. Même le sifflement de mauvais augure qu'elle lui adressa en le croisant ne tempéra pas son amusement. Souriant, il s'arrêta près de la table et haussa les sourcils à l'intention de l'homme qui y était assis.

"Vous avez déjà une touche, on dirait. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas rappeler la demoiselle ? Je peux attendre mon prochain tour au bar." Il pointa le dit bar du pouce. "Je m'en voudrais de couper court à une idylle naissante. Les femmes serpent ont le sang chaud, vous savez."

Comment il le savait ? Eh bien, Uriel était toujours prêt pour de nouvelles expériences. Il gardait d'une certaine nuit un souvenir... spécial. Pas désagréable, mais pas nécessairement quelque chose qu'il reproduirait de sitôt.

Il avait la vague impression que l'hôte de la table n°6 n'était pas aussi aventurier au lit que lui.

Alors comme ça Saress… bref, se trouvait à la table d’une autre femme maintenant. Elle serait peu intéressée, ce qui veut dire que je risque de la voir revenir bientôt…

Après une femme serpent, mon visiteur était un homme. Ma déception était modérée, je préfère ça à…

Je soulevais mon verre à l’attention de l’inconnu.

-Je préfère le froid ! Si vous aimez la chaleur je vous souhaite de la rencontrer rapidement… Mais restez là, vous êtes le bienvenu ! Tenez, buvez quelque chose !

Le serveur, éclipsé par Témari s’approcha pour s’enquérir de la nouvelle commande.
Tant que le nouveau et le serveur était là, Saress… La femme-serpent, n’aurait aucunement les moyens de revenir par ici. Il n’y aurait pas une femme-mangouste dans le coin ?

J’invitais l’inconnu à s’assoir en insistant.
Il va bien finir par s’installer, non ? Si je dois le ligoter à la chaise.

Devant un accueil si chaleureux, Uriel rapprocha la chaise écartée par la visiteuse précédente et s'y laissa choir. Un rire silencieux se lisait dans ses yeux. Au serveur, il commanda un verre d'un vin sucré qu'il affectionnait. Quand l'homme se fut éclipsé vers le bar, il tendit une main ferme à son interlocuteur.

"Uriel. De manière générale je suis plus intéressé par les jolies femmes que par les hommes, mais si c'est aussi votre cas on aura au moins ça en commun."

A défaut d'autre chose, ils pourraient toujours discuter de la cruelle pénurie de femmes présentes à cette soirée. La guerre qui couvait les avait-elle toutes poussées à rester chez elles ?

Main que je saisie volontiers.

Ce type avait le caractère d’un oiseau moqueur, au moins m’était-il sympathique. Je ne me détendais pas pour autant.
La présence de la naga sur le navire était une épée de Damoclès au-dessus de ma tête.

-Nous sommes d’accords, il n’y a pas assez de femmes sur ce vaisseau.

Je vais finir par avoir le mal de mer.

Un regard rapide sur la salle, le femmes étaient moins nombreuses que les hommes, je soustrayais au résultat celles que je n’approcheraient pour rien au monde : une naga et une arcturienne. Le compte était maigre.

-Mais dites-moi, vous venez de la table de cette jolie blonde là-bas, elle n’a pas voulu de vous ?

Œil pour œil !

Piqué au vif dans sa fierté. Le sourire d'Uriel se tordit et il se rencogna dans son siège. Contre son gré, une moue boudeuse essaya de s'afficher sur son visage.

"C'est une connaissance de boulot, je crois qu'elle a décidé il y a longtemps de ne pas me laisser ma chance."

Sous-entendu que ce n'était pas sa faute si la jolie blonde en question ne voulait pas mélanger travail et plaisir. Quoi, il y avait peut-être d'autres raisons pour laquelle Eva ne le regardait pas de trop près ? Jamais de la vie ! Uriel était décidé à rester dans le déni le plus total.

Derrière son masque doré, il plissa les yeux pour lire le nom posé sur la table.

"Azurée, c'est ça ? Au moins vous avez bon goût. Pas beaucoup de chance, par contre, vu qu'à part votre nouvelle amie, les seules femmes présentes ont toutes une table attribuée."

Et donc, aucune chance qu'il les croise pendant le jeu des chaises musicales. Uriel secoua la tête avec malice.

"Vous n'avez plus qu'à prier qu'elles ne trouvent pas toutes chaussure à leur pied pendant les trois prochains quarts d'heure. Dommage, la sélection est chiche mais de bonne qualité."

Il tendit le cou pour scruter les hôtesses des tables 1 et 2. La première était tout à fait à son goût ; la seconde pourrait probablement le mettre au tapis en cinq secondes, ce qui avait son propre charme...

Le ton était polie, mais même le dernier des idiots saurait voir l'hostilité entre moi et Uriel. Je ne suis pas celui qui a déterré la hache, ça ne veut pas dire que je n'ai pas l'intention de m'en servir.

- Je n'ai pas besoin de prier, moi. J'ai déjà su en séduire une ! J'aurais l'embarras du choix dans une heure...

Avec satisfaction je bois à mon verre. Je le repose avec une lenteur exagérée. Que pouvait-il répondre à ça ?

- Au moins aucune ne m'a encore repoussé.

Témari observa durant plusieurs minutes le barman. Il était l'instigateur de sa précédente défaite et le détenteur d'une clochette maléfique... celle-ci avait le pouvoir d'obliger toutes les tables à changer ! Mais comment ses invités pouvait trouver quelqu'un à l'heure goût si on ne leur laisse pas assez de temps faire connaissance ?
Témari était assez futée pour avoir remarqué que près de la moitié des convives perdait beaucoup de temps à trouver leur table...

Le barman essayait depuis quelques minutes de ne pas faire attention à la jeune femme habillée en pirate. exercice difficile... même lorsqu'il servit un verre à un client il senti le regard perçant de l'arcturienne sur sa nuque.
Il regarda sa montre et s'aperçut que le nouveau tour devait être annoncé... Il fouilla sa poche et dénicha la fameuse clochette.

Avant qu'il n'ait eu le temps d'en jouer Témari se jeta sur lui et arracha de sa main l'instrument.

La dragonne victorieuse voltigait de mat en mat avec son précieux butin dans la main, le barman bousculait quelques danseurs dans ses tentatives de suivre la demoiselle.

Sur scène, comme si tout ceci était parfaitement normal le présentateur annonça :

-Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vous prie de changer de table.

Azurée, ce tour-ci tu rencontres Nij'aku

Le tour dernier, Aku n'avait même pas daigné rencontrer la jeune demoiselle assise à la table qui lui avait été désignée. Il était resté en retrait, croisant les bras et observant le reste de la salle. Certes, cela était clairement de la mauvaise foi et de l'anti-jeu. Mais quand il ne voulait pas, il ne voulait pas.

Après un soupire, et surtout poussé par des regards accusatifs, l'oiseau, pour ce tour-ci, décida de faire un effort minime et d'aller s'assoir en face de cet homme. Même cirque que pour Corben, présentations rapides, une bière et hop, on tournait ! C'était n'importe quoi cette soirée, il s'ennuyait, il n'y avait majoritairement que des hommes. Les femmes avaient sûrement mieux à faire ou alors fuyaient ce genre de réception. Nouveau soupire, il pose les coudes sur la table, hèle un serveur, commande deux boissons alcoolisées et ouvre la discussion.

- Nij'Aku, maître de Souen, 120 ans, intéressé par les poitrines, finit-il avec une pointe d'ironie, histoire de bien signaler à cet inconnu - ou pas au final, il ne savait pas - qu'il n'était pas intéressé par la gente masculine.

Et que la conversation commence dans la joie et l'ennui... Il boit.
Mais au lieu d'écouter ce qu'avait à dire cet homme, sûrement très beau sous son masque, il n'avait pas vérifié et n'allait pas vérifier, il tourna la tête et balaye à nouveau la salle du regard. Regard qui se pose sur les courbes magnifiques de Témari, habillée comme une musicienne. Un sourire, presque niai, étire ses lèvres. Un soupire vient fendre l'air tandis qu'il regarde avec envie, et amour, cette jeune femme particulière. L'oiseau était amoureux, et oui, ça arrivait même aux meilleurs...

Son amourette, due à un lointain souvenir, c'était transformé en véritable amour, ou attirance, comme pour Eva, dès qu'il avait compris à qui il avait à faire. D'ordinaire, il n'était pas vraiment attiré par les personnes à fort caractère. Trop difficile à soumettre à sa volonté. Mais là...
Sans prévenir l'inconnu, il se lève, comme attiré par une force invisible, qui va sûrement lui retourner une droite dans la figure, vers Témari. Il a un grand sourire aux lèvres, et, fier de lui, tel était la marque de fabrique de l'oiseau, il aborde la soeur des Acturiens sans complexe ni gêne.

- Bonsoir, chère amie, cela faisait longtemps que l'on ne s'était pas croisés...

Petite révérence ridicule, histoire de se donner un peu plus de prestance, puis il désigne une table vide dans ce cercle que formaient les autres tables:

- Veux-tu partager cette courte soirée avec moi ?

Et sans attendre de réponse, il la mène jusqu'à cette table.

Rakel était arriver sur ce navire au tout début, même si elle n'avait pas encore participé, vêtue d'une longue robe blanche qui cachait ses pieds. Il y avait une grande ouverture dans le dos de cette dernière, pour y laisser passer ses deux ailes qui étaient de la même couleur que le vêtement qu'elle portait. Sur son visage, un beau masque blanc orné de plumes toutes douces cachait ce dernier. La seule touche de couleur résidait dans sa magnifique chevelure rousse qui tombait en des boucles soyeuses contre ses joues et sur ses épaules. Un léger sourire était dessiner sur ses lèvres, comme si elle pressentait qu'elle allait bien s'amuser.

Elle s'assit doucement en face d'un bel homme donc le charme ne l’atteignit pas tout de suite. Oui, elle était difficile à séduire mais peu importe ! Soit elle lui plairait, soit pas. Dans le deuxième cas, il n'aurait juste qu'à le lui dire et elle s'en irait. Mais elle ne doutait pas un seul instant qu'elle l'intéresserait. Après tout, elle était largement plus jolie que la première femme qu'il avait reçu surtout qu'il n'avait pas semblé l’apprécier, ce qui faisait un bon point pour elle. Ensuite, il n'aimait pas les hommes puisque ses deux autres partenaires de tables avaient été deux beaux garçons. Du coup, elle avait toutes ses chances même si pour lui, ce n'était pas dit vu qu'elle ne se laissait pas facilement faire. Elle prit la parole, une voix douce s’échappant de ses lèvres, presque envoutante tout en déposant ses yeux gris sur son visage masqué.

- Bonsoir toi.. Je me nomme Rakel. Et toi, comment t'appelles-tu.. ?

Encore ! Est-ce que l’univers s’est ligué contre moi pour m’obliger à ne parler qu’à des hommes tant que la femme-serpent ne m’aura pas enlevé ?! C’est la question que je me suis posé au moment où il s’est assis.
L’univers m’a entendu, Nij’aku, 120 ans avec un goût prononcé pour les formes avantageuses, s’est levé et est parti retrouver la seule de la soirée qui ne plaisait à personne.

Il doit être aussi dingue que Témari… Maintenant c’est moi qui suis fou. Un ange tombé du ciel s’assoit à la place libre. Bouche ouverte, j’observe la demoiselle toute de blanc vêtue. On dirait que le destin souhaite se faire pardonner.

-Je veux bien porter le nom qui vous plaira le plus si cela peut faire durer ces 15 minutes toute une vie…

Il m’est arrivé de faire mieux…
Mais puisqu’il m’est aussi arrivé de faire pire…

-Azurée.

J’espérais que ma main tendue soit saisie.

-Vous êtes très certainement la plus belle personne que j’ai vu ce soir, je suis heureux que vous ayez choisi ma table pour rejoindre l’aventure.

Avec un fantastique sourire pour accompagner le compliment.